Gravir, monter, mais à quoi bon ?

"Tout ce que je faisais était remis en cause" ©Getty - alashi
"Tout ce que je faisais était remis en cause" ©Getty - alashi
"Tout ce que je faisais était remis en cause" ©Getty - alashi
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Après quelques années d’exercice au sein de prestigieux secteurs, Hamadi et Juliette ont décidé de s’en extraire, aspirant à une vie plus paisible. Un reportage signé Alice Babin.

Si Hamadi a délaissé son métier d’avocat, sa robe le hante encore. Au contraire, Juliette, qui a quitté ses fonctions au sein d'un musée au moment de la pandémie, ne regrette absolument pas son choix.

Hamadi, 31 ans : “J'ai le sentiment d'un faux départ et de ne pas avoir eu la chance que je méritais”

Hamadi a 31 ans. Issu d’un milieu plutôt modeste, il grandit en banlieue parisienne et s’engage dans des études de droit sans idée précise de ce à quoi il aspire. Sa première tentative à l’examen du Barreau est un échec cuisant. Il se tourne alors vers le secteur banque/assurance, où il débute en tant que “spécialiste en conformité.” Un emploi parfaitement ennuyeux, dont Hamadi aime dire qu’il provoque “la mort de l’âme.” Il le quitte sans regret, avec l’ambition de retenter le concours : “j'avais vraiment pour la première fois non seulement le temps, mais surtout l'envie de le réussir. Et ç'a été un voyage vraiment extraordinaire.

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Les Pieds sur terre
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Il réussit l’examen avec brio, intègre une école d’avocats puis réalise des stages en cabinets, dans de cossus appartements parisiens. “Le nez dans des rapports d'autopsie, des reconstitutions de scènes de crime, des affaires de grand banditisme, de corruption”, ses missions le passionnent : j'aimais beaucoup ce que je faisais. Se pencher sur un sujet, rechercher des faits, réfléchir à des argumentaires, construire quelque chose. S'investir dans un dossier, c'est ça qui me rendait heureux.” À l’issue de sa formation, il est recruté et prête serment au cours d’une cérémonie au Palais de Justice, à laquelle ses parents sont conviés.

Un “moment magique”, qui laisse pourtant vite place au cauchemar : “Tout ce que je faisais était remis en cause”. Sur lui pleuvent “des remarques au début parfaitement dans le cadre du travail” devenant “très méprisantes.” “Comme une gangrène, la moindre erreur, aussi minime qu'elle pouvait être, était de nature à me donner l'impression que le monde s'écroulait […] Je me laissais marcher dessus”. Juste avant la pause estivale, il craque : “Je me dis qu'il faut que j'arrête”. Après des mois à essuyer des refus de tous les cabinets auprès desquels il postule, il accepte, par nécessité, l’offre d’un cabinet de conseil : “C'est un milieu que je retrouve, exactement la même ambiance, les mêmes personnes, voire les mêmes odeurs que les entreprises que j'ai connues avant.” De ses années au Barreau lui reste un goût amer… et sa robe, qui semble le hanter : “J'ai dû finir par [la] cacher derrière des sacs en haut d'une étagère. À chaque fois que je la voyais, ça me rendait triste et en colère.”

Juliette, 30 ans : “J'avais l'impression de faire semblant”

Juliette a fait sept ans d’études d’histoire de l’art et de nombreux petits boulots en parallèle : serveuse en extra, animatrice de colonies de vacances, hôtesse d'accueil dans des événements, etc. Autant d’activités qu’elle estime : “pour moi, c'était pas des sous métiers.” Diplôme en poche, elle est fin prête à entrer dans la “vie active” à Paris, ville de son enfance et de grands musées qu’elle affectionne. Elle note rapidement que des codes régissent son secteur : “c'était important le “paraître” : aller voir les gens, faire bonne figure, serrer des mains, savoir se présenter, se valoriser, dans le but de séduire son interlocuteur” mais peine à les adopter : “j'avais l'impression de faire semblant.”

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Alors que les mesures de confinement imposent la fermeture des musées, Juliette en profite pour s’en échapper. Elle reprend “le petit boulot mal aimé” d’animatrice de colonie : “tout l'été, je me suis retrouvée à m'occuper d’ados dans les Landes”. Là-bas, elle fait la rencontre de son compagnon et décide de ne pas rentrer au mois de septembre suivant. Depuis, elle alterne une saison estivale dans le Sud Ouest et une saison hivernale dans les Alpes. Qu’importe l’ambition, déclare Juliette : “le travail, c'est devenu quelque chose qui me permet de me nourrir. Ce qui m'intéresse maintenant, c'est tous les moments hors du travail”. Se balader dans les pins, regarder le soleil se coucher sur l'océan, surfer, faire de nouvelles rencontres, dessiner : voilà à quoi ressemblent maintenant ses journées.

La nouvelle vie de Juliette
La nouvelle vie de Juliette
- Juliette
  • Reportage : Alice Babin
  • Réalisation : Anne-Laure Chanel
  • Mixage : Jean-Ghislain Maige

Merci à Hamadi, Juliette et à la voiture d’Alain

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