Terry Gilliam : "Brazil est né d’un sentiment de frustration face à ce que le monde était en train de devenir"

Portrait de Terry Gilliam au 76e Festival du Film de Venise en 2019 ©Getty - Franco Origlia
Portrait de Terry Gilliam au 76e Festival du Film de Venise en 2019 ©Getty - Franco Origlia
Portrait de Terry Gilliam au 76e Festival du Film de Venise en 2019 ©Getty - Franco Origlia
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Seul Américain de la troupe des Monty Python, Terry Gilliam a marqué sa singularité en réalisant des films extrêmement différents, mais tous marqués du sceau de son originalité, de "Brazil" à "l’Armée des douze singes", de "Las Vegas Parano" aux "Frères Grimm". Rencontre avec un monument du 7e art.

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Pour qui est familier de l’œuvre de Terry Gilliam, son statut d’invité d’honneur de la 16e édition du Festival Européen du Film Fantastique n’a rien d'un mystère. En effet, celui qui fût d’abord caricaturiste sous le patronage d’Harvey Kurtzman, le fou du Roi de Mad donc, puis le créateur des animations foutraques de l’illustre série télé Monty Python's Flying Circus, devint d'abord réalisateur suivant la devise des Monty Python "pour faire rire le commun des mortels avec des trucs complètement idiots". En solo, Terry Gilliam est l’auteur d’une œuvre protéiforme qui a fourni à l’histoire du cinéma quelques-unes de ses meilleures légendes. Depuis Jabberwocky (1974) son premier film sous forme d’hommage à l’univers de Lewis Caroll, Terry Gilliam n’a eu de cesse de faire de ses films des sortes passages vers d’autres mondes. De Brazil (1985), à Las Vegas Parano (1998) en passant par L’Armée des douze singes (1995) et L’Imaginarium du Docteur Parnassus (2009), Gilliam semble avoir fait le vœu de nous faire passer de l’autre côté du miroir. C’est donc à l’occasion de sa mise à l’honneur qu’Arnaud Laporte le reçoit au micro d’Affaires Culturelles, afin de revenir avec lui sur une carrière longue de près de soixante ans.

Dessiner des martiens

Dans une première vie, Terry Gilliam se fît connaître et apprécier pour son talent de caricaturiste. De ses premières publications dans Fang, une revue inspirée de Mad, à Help! du maître Harvey Kurtzman, Gilliam se trouve une voix de satiriste. Il nous parle de son rapport au dessin :

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"Je crois que j’ai commencé à dessiner dès le plus jeune âge et d’ailleurs, j'ai conservé quelques-uns de ces dessins. J’utilisais des objets de ma maison pour faire des créatures martiennes. Je crois que mes compétences en dessin étaient beaucoup mieux que mes compétences verbales. Lorsque j’ai déménagé en Angleterre, un Anglais m’a dit que j’étais un paysan du Minnesota qui n’utilisait que des monosyllabes. Mais je dessine de moins en moins, et c’est très bizarre. Aujourd’hui, ce que je dessine, ce sont des cartes d’anniversaire pour ma famille et des cartes de la Saint-Valentin pour mon épouse." Terry Gilliam

A voix nue
29 min

Pas de chute : la formule comique des Monty Python

Pour la série télé Monty Python's Flying Circus, Terry Gilliam réalise des animations, avec un style bien à lui, à base de collages et de non-sens, qui avait pour fonction de lier entre eux les différents sketchs, créant ainsi une formule comique sans rupture.

"On voulait une émission sans chute, car la plupart des émissions comiques à l’époque avaient un sketch qui se terminait avec une chute et nous ne voulions pas procéder de cette façon. Nous voulions que cela progresse d’une chose à l’autre, dans une forme de flux et c’est comme cela qu’on a commencé. Mes animations faisaient le lien entre ces éléments, c’était comme un tissu connectif. Cela m’a donné une immense liberté, car les sketchs étaient écrits et enregistrés à l’avance et moi, je devais combler les trous. J’avais deux semaines pour faire le travail, et très peu d’argent, donc je volais le travail des autres, d’artistes morts qui ne pouvaient rien me dire. Quand j’avais besoin d’inspiration, j’allais à la National Gallery à Londres, et je me promenais, je regardais des tableaux célèbres et des histoires naissaient des combinaisons, des idées." Terry Gilliam

"Brazil" 1985 : l'artiste en guerre contre l'industrie

Brazil, c’est un miracle né dans un cauchemar. Après un tournage difficile, la sortie du film aux États-Unis donne lieu à l'une des pires batailles de l'histoire du cinéma, représentative des fréquentes tensions entre l'industrie et les artistes. Terry Gilliam nous parle de la genèse de l'œuvre et de sa guerre contre Universal :

"Je crois que ce qui était intéressant, c'est qu’au moment où le film est sorti en France, il a reçu d’excellentes critiques. Pendant les interviews, à ce moment-là, on me demandait si j’aimais la poésie, car les Français trouvaient ce film très poétique. Je me réjouissais d’être enfin respecté. Mais le fait qu’Universal refuse de diffuser le film m’a décidé à partir en guerre. D’abord, j’ai payé pour publier une nécrologie dans le magazine Variety ; avec au milieu un texte 'Cher Sid Sheinberg, quand est-ce que vous allez diffuser mon film ? Signé Terry Gilliam'. Personne à Hollywood n’avait jamais fait quoique ce soit de cet ordre. En général, ce genre de choses se fait en coulisses, et moi, j'avais décidé de rendre l’affaire publique. Cela a attiré l’attention des journalistes, et c’est devenu une victoire, parce que le film a été diffusé sans autre publicité que cette histoire." Terry Gilliam

À réécouter : "Brazil" de Terry Gilliam
La Culture change le monde
59 min

L'obsession Don Quichotte

L'autre histoire qui participe à faire de l'œuvre cinématographique de Terry Gilliam une œuvre de légendes, est celle du projet d'adaptation de Don Quichotte. Le réalisateur nous parle de cette obsession qui a duré dix-neuf ans.

"Je crois qu’à partir du moment où on décide de travailler sur Don Quichotte, on devient Don Quichotte. Il faut pouvoir s’identifier à ce personnage pour comprendre de quoi il s’agit. En fait, c’est un livre qui parle d’échec. Don Quichotte, c’est quelqu’un qui a des idéaux très nobles concernant l’humanité et ce qu’est la vie. Il tombe sans cesse et se relève systématiquement. Cela m’a pris près de vingt ans pour faire ce film, et je suis devenu obsédé. J’ai toujours aimé l’idée d’être obsédé par quelque chose, c’est libérateur ; on n'est plus vraiment responsable, il y a une force plus puissance que vous qui vous contrôle. C’est ce qu’il s’est passé avec Don Quichotte." Terry Gilliam

Pour en savoir plus sur ses actualités :

  • Terry Gilliam est l’invité d’honneur de la 16e édition du Festival Européen du Film Fantastique, se tenant du 22 septembre au 1 octobre à Strasbourg.
  • L'Armée des douze singes ressortira au cinéma le 8 novembre en version restaurée. Parallèlement, le film sera également disponible en édition vidéo dès le 7 novembre 2023.

Sons diffusés durant l'émission :

  • Harvey Kurtzman s'exprime sur la confusion entre le tragique et le comique dans une archive diffusée dans l'émission Mauvais Genres en 2004, sur France Culture
  • Eric Idle - "Always Look On The Bright Side Of Life" — Bande originale du film La Vie de Brian des Monthy Python (1979)
  • Extrait et musique du film Brazil (1985) de Terry Gilliam
  • Musique de l'Armée des douze singes (1995)

Le son du jour : "La Chancelle" d'Arman Méliès

Obaké, c'est l'intrigant titre du nouvel album d'Arman Méliès.  Les Obaké désignent des fantômes qui ont, dans le folklore japonais, la capacité de se transformer. La transformation, c'est précisément ce qu'a choisi Arman Méliès en se détournant des sonorités rock californiennes de son précédant album pour imaginer de nouvelles compositions, plus électroniques, qui accueillent avec justesse une écriture radicalement élégiaque. Opération risquée, mais réussie dans ce qu'Arman Méliès appelle de ses vœux un "disque monde", un ambitieux double album sur lequel sont invités, entre autres, Abd Al Malik, La Féline et Mondkopf.

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