Les nouveaux guerriers

"Les hommes de la région sont conviés à un cercle autogéré où on va se retrouver, se soutenir, se confronter" ©Getty - Andriy Onufriyenko
"Les hommes de la région sont conviés à un cercle autogéré où on va se retrouver, se soutenir, se confronter" ©Getty - Andriy Onufriyenko
"Les hommes de la région sont conviés à un cercle autogéré où on va se retrouver, se soutenir, se confronter" ©Getty - Andriy Onufriyenko
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Le "Mankind Project" propose de réunir chaque mois des hommes pour échanger sur la “masculinité sacrée”, partager leur colère et sortir de leur statut de victime. Immersion dans un groupe de parole, par Pauline Chanu.

À Courthézon dans le Vaucluse, Loïc, Franck, François et une dizaine d’autres “nouveaux guerriers” du Mankind project se retrouvent chaque mois pour “se retrouver, se soutenir, se confronter”. Il a fallu des mois à l’autrice de ce reportage pour pénétrer l’une de leurs réunions tenues secrètes. Dans un vieux garage, elle a retrouvé les participants assis par terre sur de petits coussins et enregistré leurs rites et leurs réflexions.

“Sortir du monde profane, du monde païen, du monde quotidien”.

L’”Aventure initiatique des Nouveaux Guerriers”, c’est le passage obligatoire pour quiconque veut intégrer l’association. Deux jours de stage dont le contenu a récemment fuité dans la presse, durant lesquels les participants, privés d’effets personnels, de moyens de communication et même de leur identité (remplacée par un matricule et un nom d’animal), sont soumis à une série d'épreuves physiques et psychologiques comme courir nu dans la forêt ou faire de longues confessions publiques. Leur sommeil est réduit à quatre à cinq heures par nuit et leur repas à des fruits secs.

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Afin d’atteindre une forme de transcendance, la réunion à laquelle nous avons assisté est rythmée par un certain nombre de rituels. Loïc détaille : “la première étape, ça va être une purification par de la fumée. La deuxième étape, c'est moi qui vais les accueillir avec un bâton, qui représente l'axe. L'objectif, c'est d'avoir des hommes debout. Suivent “l’appel des archétypes”, variations de la masculinité telle que conçue par l’association : “l'amant”, “le guerrier”, “le magicien” et "le roi".

Point d’orgue de la réunion : afin d’extérioriser sa frustration, on demande à un participant de se placer dans la position de l’enfant qu’il était. Imitant son père sévère, le médiateur du cercle lui répète en boucle : “T’es nul. Tu ne vaux rien”, jusqu'à ce qu’il explose en pleurs et en rugissements, encouragé par son interlocuteur : “Y a de la puissance là-dedans, n’est-ce pas ?”.

"Fais parler les hommes", un podcast documentaire en 8 épisodes

“En ce moment, on parle beaucoup de déconstruction du masculin. Moi, je suis dans la construction du masculin”.

Les participants interrogés témoignent souvent d’une inhibition initiale à l’origine de leur souffrance : “petit garçon timide, j'avais envie d'exister un peu plus, de prendre de la place, de pouvoir exprimer les choses”, se souvient Franck. Ils accusent une société qui ne les éduque plus à être des hommes, où les relations avec les femmes sont de plus en plus compliquées : “Le féminin, pour moi, a été un danger. J'avais peur qu’il puisse prendre le contrôle de ma vie” poursuit Franck, qui se réfère à “l'image classique de la mante religieuse”. Un autre ajoute : “Je me rends compte que la colère que j'ai est plutôt déclenchée par des femmes”.

Les “nouveaux guerriers” qu’ils aspirent être sont des émanations de “force”, de “puissance”, de “décision”, de “contrôle”, de “souveraineté” et de “colère, selon leurs propres termes. Hors de question de “ne jouer qu’un rôle de bienséance” et de “se soumettre” à leur compagne notamment, dont ils parlent ainsi : “elle n’a pas du tout le profil de la précédente. Elle est clairement plus en retrait, son attitude est moins exubérante”, “elle n'est pas du tout sensibilisée à la démarche féministe, mais plus dans l'accueil de son féminin”.

À écouter : Des hommes violents
Des hommes violents

Des dérives masculinistes ?

Saisie trois fois en 2020 et 10 fois en 2021 par d’anciens membres du MKP ou par des proches inquiets, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a souligné les penchants masculinistes et sectaires de l’association : “L’isolement rapporté, la rupture induite avec les proches, les méthodes d’intimidation, d’épuisement et de soumission, la volonté de 'briser' l’individu pour le remodeler selon des valeurs jugées positives, l’organisation structurée du mouvement ainsi que son corpus idéologique particulièrement fort et violent sont autant d’éléments de nature à favoriser un processus d’emprise mentale sur les participants”.

Au sens défini par la mission, le masculinisme est à entendre comme un “mouvement social ultraconservateur qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions”.

À Courthézon, François, Loïc et Franck s’en défendent, prônant une masculinité qui réconcilie chez les hommes la puissance et la vulnérabilité : “'Mankind Project', c'est un dispositif qui permet aux hommes de mieux prendre leur place dans ce monde qui bouge dans les relations hommes femmes qui sont en train d'évoluer” et d’expérimenter “quelque chose de l'ordre de l'amour au masculin”. Ils admettent tout de même : “Ce n'est pas le club Mickey. Même s’il n’y a jamais de violence et que ça reste très encadré, très sous contrôle, il n'y a pas de fausse compassion” ou encore : “Je peux faire des choses ici qui, dans mon quotidien, pourraient paralyser mes enfants”.

Sans oser le demander
58 min
  • Reportage : Pauline Chanu
  • Réalisation : Anne Depelchin
  • Mixage : Audrey Guellil

Pour aller plus loin

Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Midiluves). “Masculinisme, virilisme et anti-féminisme : un endoctrinement violent et sexiste”, dans : Rapport d’activité 2021, pp. 120-122

En réponse à ce rapport, le MKP a publié  un communiqué pour contrer les accusations dont ils font l'objet.

Ouvrages
Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux, Pauline Ferrari (JC Lattès, à paraître le 2 nov. 2023)
Les hommes et le féminisme : faux amis, poseurs ou alliés ?, Francis Dupuis-Déri (Editions Textuel, à paraître le 4 octobre 2023) 
La Crise de la masculinité : autopsie d'un mythe tenace, Francis Dupuis-Déri (Editions Points, 2022)

Articles
" Nudité, jeûne et 'cercle magique' : 48 heures à la recherche de ma 'masculinité sacrée'", Louis Chahuneau, Le Point, 9 mars 2023
"' Pendant toute mon enfance, mon père m’a dit que si je pleurais, j’étais une fillette' : des groupes de parole réservés aux hommes explorent la masculinité", Célia Laborie, Le Monde, 12 mars 2022
" Aux racines du 'Mankind Project', un masculinisme qui ne dit pas son nom", Louis Chahuneau, Le Point, 15 mars 2023
"' Mankind Project' : 'Le masculinisme perçoit l’égalité entre les sexes comme une menace'", Louis Chahuneau, Le Point, 10 mars 2023
" Dérives sectaires : au cœur du 'Mankind Project', qui fait des hommes des 'nouveaux guerriers'", Paul de Coustin, 9 mars 2023

Merci à MKP et aux participants, Pauline Ferrari et Lucie Ronfaut

Musique de fin : Circlesong Six par Bobby McFerrin & Voicestra

L'équipe