Afghanistan : contre les talibans, la longue lutte des Massoud

Vingt ans de reconquête pour les talibans qui dirigent aujourd’hui l’Afghanistan d’une main de fer, entraînant le pays dans la famine et privant les femmes de leurs droits les plus fondamentaux. Figure de la résistance afghane, nous recevons ce matin Ahmad Massoud, fils du commandant, dont la parole est rare en France et qui nous présente son livre Nos libertés paru chez Bouquins.

Ahmad Massoud, figure de la résistance afghane

Fils du commandant Massoud, symbole de la lutte afghane contre les Soviétiques puis contre les talibans, Ahmad Massoud prend aujourd’hui le relai de ce combat depuis l’Europe, où il déplore l’état de son pays : “après l’effondrement du gouvernement afghan et le retrait irresponsable des troupes américaines, le pays est aux mains du terrorisme taliban. Les droits des femmes sont niés et l’Afghanistan est devenu une véritable prison pour ses citoyens.” Il vante toutefois le courage de la résistance locale, même si elle représente une minorité de personnes : “il y a des milliers de gens qui résistent de différentes façons. Des femmes et des hommes élèvent leurs voix et se battent courageusement dans les montagnes”. Son père, Ahmad Chah Massoud, était l’un des pionniers de la résistance afghane contre les troupes soviétiques puis contre les talibans, avant leur prise de pouvoir : “c’était un visionnaire. Il avait une vision qui manque cruellement à notre pays depuis une vingtaine d’années. Il a réussi à sauver son pays de deux régimes totalitaires, les Soviétiques et les talibans, qui sont une autre forme d’extrémisme”.

Pourquoi les talibans se maintiennent-ils au pouvoir ?

Alors que les talibans ont renversé la République islamique afghane en 2021, leur maintien au pouvoir étonne. Selon Ahmad Massoud, cela est aussi une conséquence de l’inaction de la communauté internationale qui participe malgré elle à normaliser ce régime : “le monde s’est détourné de l’Afghanistan et ignore la situation de notre pays. En raison des jeux géopolitiques et stratégiques entre les puissances régionales et les superpuissances, on instrumentalise ces extrémistes. Enfin, le peuple afghan ne veut pas des talibans, mais le peuple est seul, isolé.” Il affirme que le régime bafoue les libertés fondamentales, quoi qu’en disent les soutiens du régime : “si l’on sacrifie la liberté pour la sécurité, au bout d’un moment, on ne se retrouve ni avec l’une, ni avec l’autre, disait Abraham Lincoln. En mettant en place un régime totalitaire, dans une certaine mesure, les talibans réussissent à instaurer une sorte de sécurité. Mais à ce compte-là, c’est la Corée du Nord qui est l'État le plus sûr du monde. En réalité, il y a toujours de la criminalité.”

Michaël Barry, écrivain et professeur à l’Université américaine de Kaboul, estime qu’en dépit de leur pouvoir, “les talibans peuvent compter sur l’adhésion ou la complaisance d’une assez grande partie de la population. Par exemple, l’oppression des femmes ne rencontre pas assez de rejet pour que cela apparaisse là-bas comme un réel problème. Aujourd’hui, le combat contre les talibans est un combat pour les droits de l’humanité”.

Y a-t-il une spécificité de l’Islam afghan ?

La légitimation progressive de ce régime interroge l’existence d’une spécificité de l’Islam afghan qui justifierait l’arrivée au pouvoir des talibans : “les talibans disent que leur idéologie est celle de l’Islam. Ce n’est absolument pas le cas. C’est une version extrémiste de l’Islam arrivée en Afghanistan pendant la guerre froide. C’était un instrument très utile contre les Soviétiques”, explique Ahmad Massoud.

Michaël Barry revient à son tour sur la genèse de ce groupe et son inspiration religieuse : “les talibans ont été créés comme des instruments de la politique pakistanaise. Le Pakistan, depuis sa création en 1947, a soutenu une mouvance extrémiste sunnite pour prendre Kaboul et faire de l’Afghanistan son allié, alors qu’une partie de l’Afghanistan est chiite. Le régime pakistanais voulait faire de l’Afghanistan une dictature obscurantiste pour que ce pays ne redevienne plus jamais un État souverain viable après la chute de l’URSS”.

À écouter : La longue histoire de l’Afghanistan