Dans "Le Capital", publié en 1867, Karl Marx utilise à plusieurs reprises la métaphore du "vampire" pour décrire le capitalisme. Comment expliquer cela ?
C’est surtout dans le chapitre VIII du Livre I, intitulé " La journée de travail", que se concentrent les passages dans lesquels il a recours à cette image. Voici ce qu'il écrit : "Le capital a une unique pulsion vitale : se valoriser, créer de la survaleur, pomper avec sa partie constante, les moyens de production, la plus grande masse possible de surtravail. Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant – tel un vampire – du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage." Plus loin, il ajoute, que le vampire qui suce le travail prolétaire ne lâche pas prise “tant qu’il y a encore un muscle, un nerf, une goutte de sang à exploiter.”
Pour comprendre pourquoi Marx privilégie une métaphore qui pourrait choquer les lecteurs d'aujourd'hui, il faut rappeler que Le Capital est une œuvre théorique très abstraite, mais bourrée de références littéraires reflétant l'immense culture de Karl Marx. On y trouve de multiples exemples ou allusions empruntées au vieux fonds mythologique gréco-romain, mais aussi aux traditions religieuses, juive et chrétienne.
Le thème littéraire du vampire
Le vampire était un thème littéraire déjà très prisé par les auteurs antiques comme Homère ou Virgile, mais on le trouve aussi dans les grands classiques de la littérature européenne (chez Dante et Shakespeare notamment). À l'époque de Karl Marx, il fut remis au goût du jour par des écrivains comme Eugène Sue ou Heinrich Heine.
Le problème auquel se sont heurtés Marx et les marxistes tient au fait qu'ils considéraient Le Capital comme une œuvre scientifique ayant une finalité politique puisque son but était de soutenir les combats révolutionnaires de la classe ouvrière.
La métaphore du capitaliste-vampire
Mais comme les quasi-totalités des prolétaires dont ils défendaient la cause n'ont jamais lu le Capital, les dirigeants du mouvement ouvrier furent contraints de "traduire" les leçons de ce traité théorique dans des formules qui puissent être comprises par le commun des mortels. La presse militante s'engagea dans cette voie en diffusant la métaphore du capitaliste-vampire, notamment grâce aux caricatures et aux œuvres des artistes engagés au côté du mouvement révolutionnaire. La gravure sur bois intitulée The Capitalist Vampire, réalisée en 1885, pour le Justice Journal (journal du parti socialiste) par Walter Crane est un bel exemple de pédagogie militante. Le but était de montrer que le socialisme réveillerait de son sommeil politique le prolétariat livré au "capitalisme buveur de sang", symbolisé par un vampire.
En France, cette représentation du patron "buveur de sang" a été largement dans la presse ouvrière. Mais plutôt que d'y voir l'influence des analyses de Marx, c'est l'actualité d'une époque marquée par la répression sanglante des grèves et les accidents mortels du travail, notamment dans les mines, qui explique le succès de cette métaphore dans le monde ouvrier. Quand on se souvient qu'en 1906, la catastrophe de la mine de Courrières (dans le nord de la France) a fait plus de mille morts, on comprend que l'image du capitaliste buveur de sang, ait pu rencontrer un large écho.
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