"La croissance permet de réduire les inégalités" : épisode • 3/3 du podcast Trois clichés économiques en débat

Dans le quartier d’affaires de La Défense, Paris, 19/10/2017 ©Maxppp - Bruno Levesque
Dans le quartier d’affaires de La Défense, Paris, 19/10/2017 ©Maxppp - Bruno Levesque
Dans le quartier d’affaires de La Défense, Paris, 19/10/2017 ©Maxppp - Bruno Levesque
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Par quels canaux la croissance agit-elle sur les inégalités ? Aujourd’hui, la captation des richesses par une élite incarne-t-elle le summum de l’inégalité, ou stimule-t-elle encore une croissance bénéfique pour tous ?

Avec

Au cours du XXe siècle, la croissance économique a connu un essor sans précédent. Cette création de richesses s’est accompagnée par une baisse drastique de l’extrême pauvreté, une augmentation générale du niveau de vie et une convergence des économies les plus pauvres vers le niveau des plus riches. Ce constat semble aller dans le sens des théories de la croissance : grâce à l’investissement de quelques-uns, l’ensemble des sociétés bénéficient des fruits de l’innovation et de l’amélioration des conditions de vie. Cependant, l’avènement des ultrariches, l’augmentation des inégalités au sein des économies de l’OCDE et le lien de plus en plus ténu entre innovation et création de richesses remettent en cause les postulats libéraux des Trente Glorieuses.

De nouveaux liens entre croissance et inégalités

Il est d’usage en théorie économique que de questionner l’acceptabilité des inégalités, Jean-Marc Daniel nous explique "d’une certaine façon, la question est : pour une société, est-ce qu’il vaut mieux être égaux dans la misère ou tous inégaux dans la richesse ? Je suis partisan de la deuxième option. Certes, les inégalités de revenus peuvent se creuser. Certes, il y a des ultrariches. Cela n’empêche pas que d’autres (grandes) inégalités se résolvent : avant les 30 Glorieuses, seuls 10 % des Français avaient une salle de bain, alors que dans les années 70 cela concernait la majorité de la population. Cette avancée est permise par la croissance économique", Thomas Porcher ajoute "en théorie, la mondialisation devait engendrer un phénomène de rattrapage des pays du Sud, et réduire leurs inégalités avec les pays riches. Les petites ouvrières chinoises, par exemple, étaient censées devenir de plus en plus riches, et former une classe moyenne. Or, dans l’ensemble, on se rend compte que dans des pays comme la Chine, et dans d’autres pays du Sud, les inégalités ont très fortement augmenté. Par ailleurs, ces pays restent en concurrence avec d’autres pays pauvres, ce qui entraîne une compression des salaires".

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Entre appauvrissement de la classe moyenne et explosion des grandes fortunes, qui profite de la croissance ?

Si les premières théories de la croissance tentaient d’établir un lien vertueux entre enrichissement et réduction des inégalités, l'essoufflement des bienfaits des Trente Glorieuses semble faire émerger de nouvelles interactions entre les deux phénomènes. Selon Thomas Porcher "une grosse partie de la population se sent appauvrie, car tous les mécanismes de redistribution ont été affaiblis. Avec la réforme des retraites par exemple, on touche à un des piliers majeurs de la redistribution. Un autre pilier affecté aujourd’hui, c’est tout ce qui tourne autour de la dépense publique. Il y a moins de crèches, moins d'hôpitaux, ce qui représente une forme d’appauvrissement. Ainsi, à quoi sert d’avoir de la croissance économique si on casse ce qui incarne la redistribution ? Aujourd’hui, on dit à un bac + 5 qui débute qu’il fait partie des 20 % les plus riches : pourtant, il ne peut se loger que dans un petit studio, et on lui dit qu’il faut qu’il travaille plus. C’est une forme de déclassement", Jean-Marc Daniel ajoute "il y a un présupposé selon lequel tout le monde bénéficie de la croissance sauf les pauvres. La “courbe de l’éléphant” (Branko Milanovic) montre que ce n’est pas vrai : ce sont les classes moyennes qui sont pénalisées, car ce sont elles qui occupent les métiers en disparition. On en revient au processus de “destruction créatrice” théorisé par Schumpeter : les victimes de la destruction (petits commerçants, …) ont du mal à se réadapter. Elles voient les riches s’enrichir d’un côté, de l’autre les pauvres s’enrichir en occupant des métiers dont on a besoin, et elles se sentent lésées. Milanovic ajoute que les pauvres sont séduits par le discours révolutionnaire, tandis que la classe moyenne déclassée est conservatrice. Cette frustration peut se résumer en une citation de Corneille : 'jamais un envieux ne pardonne au mérite'".

La Grande Table idées
34 min

Pour aller plus loin

  • Jean-Marc Daniel : Histoire de l’économie mondiale. Des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs (Tallandier, 2023)
  • Thomas Porcher : Mon dictionnaire d’économie (Fayard, 2022)
  • Thomas Porcher : Les délaissés. Comment transformer un bloc divisé en force majoritaire (Fayard, 2020)
  • Kenneth Pomeranz : Une grande divergence. La Chine, l'Europe et la construction de l'économie mondiale (Albin Michel, 2021)
  • Thomas Piketty : Capital et idéologie (Points, 2022)

Références sonores

  • Archive INA Simone Veil, émission « Indications », TF1, 1979
  • Pays émergents, France info, 24/10/2012
  • Interview de  Warren Buffet sur CNN, 02/04/2015
  • Extrait du discours de Pierre Messmer, Premier Ministre, à l'Assemblée nationale, INA, 1973
  • Extrait du film La zizanie, réalisé par Claude Zidi en 1978

Références musicales

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