Libres jusqu’à la mort : Patočka, Ginzburg et Mandelstam : épisode • 4/4 du podcast Dissidences et compromissions

Jan Patočka (1907-1977) en 1971, Archives de Jan Patočka - Jindřich Přibík - GFDL
Jan Patočka (1907-1977) en 1971, Archives de Jan Patočka - Jindřich Přibík - GFDL
Jan Patočka (1907-1977) en 1971, Archives de Jan Patočka - Jindřich Přibík - GFDL
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Jan Patočka (1907-1977), Léone Ginzburg (1909-1944) et Ossip Mandelstam (1891-1938) ont pour point commun d'avoir résisté, et ce, jusqu'à la mort. Dans quelle mesure cette résistance se retrouve-t-elle dans leurs œuvres respectives ?

Avec
  • Martin Rueff Professeur de littérature française à l’Université de Genève, traducteur de l'italien, poète, philosophe
  • Nathalie Frogneux Philosophe, professeure à l’UCLouvain (Belgique)
  • Marc Crépon Directeur de recherche à l'Université Paris Sorbonne et directeur du département de philosophie à l'École normale supérieure

Avec Philosophie consacre cette série d'émissions aux dissidences et compromissions. Dans ce quatrième et dernier épisode, Géraldine Muhlmann et ses invitées s'intéressent Jan Patočka (1907-1977), Léone Ginzburg (1909-1944) et Ossip Mandelstam (1891-1938).

Léone Ginzburg  (1909-1944) : lutter contre le fascisme par la culture

Léone Ginzburg est un intellectuel italien antifasciste qui a fini par être attrapé par les Allemands et est mort sous la torture de la Gestapo à Rome en 1943. Pour Martin Rueff, “le fil conducteur de l'existence de Ginzburg, à travers toutes ses activités de traducteur, d'éditeur, d'intellectuel, d'historien, c’est l’antifascisme”. En effet, il est né en 1919, “donc il a 13 ans quand Mussolini arrive au pouvoir”.

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L’idée centrale chez Ginzburg est que la “culture est une arme politique, c’était vraiment l'idée que contre le fascisme, il fallait d'abord échafauder des lieux de pensée, de discussion, et notamment par la traduction”. Ainsi l’engagement politique était central pour lui.

Ossip Mandelstam (1891-1938) : lutter contre l’asservissement de la littérature

Ossip Mandelstam est un poète russe mort en 1938 des traitements infâmes d'un camp en Sibérie. En effet, les Soviétiques n'ont jamais pardonné son texte Épigramme contre Staline écrit en 1933. Selon Martin Rueff, “pour Staline, Mandelstam était un homme en trop”.

Avec sa notion “d’acméisme” et sa “poésie de l’adresse”, on trouve encore l’idée de lutte par la littérature, par la poésie plus particulièrement. Pour Marc Crépon, “le premier refus de Mandelstam, c'est le refus de l'asservissement de la littérature”. Il ajoute : “c'est une résistance de la poésie comme elle-même acte de résistance, comme elle-même rapport au langage, rapport à la culture, qui contrevient à tout ce que le pouvoir soviétique a cherché à faire, c'est-à-dire les étouffer et les contrôler”.

Jan Patočka (1907-1977) : une philosophie de l'ouverture

Jan Patočka est un philosophe tchèque dissident, l'un des porte-parole de la charte 77, qui a succombé d'une hémorragie cérébrale à la suite d'un terrible interrogatoire le 13 mars 1977. Toutefois, la politique “n’était pas naturelle au sens d’une politique politicienne, au sens d’une lutte pour le pouvoir” affirme Marc Crépon.“Mais en même temps, sa philosophie de la vie, sa philosophie des mouvements de l'existence faisait qu'inévitablement, elle devait rencontrer la politique” ajoute-t-il.

Husserl, Heidegger et Masaryk ont marqué la philosophie de Patočka. On trouve ainsi chez lui “cette volonté de comprendre que l'histoire, la philosophie et la démocratie vont ensemble et qu'elles sont absolument indissociables” note Nathalie Frogneux. Du sacrifice à la solidarité des ébranlés, la pensée de Patočka est une philosophie de l’ “ouverture”.

Pour en parler

Marc Crépon, professeur de philosophie à l'École normale supérieure, directeur de recherche au CNRS. Parmi ses nombreuses publications, on trouve :

Martin Rueff, professeur de littérature française et d’histoire des idées à l'Université de Genève. Il est critique, traducteur et publie des livres de poésie. Parmi ses travaux, on trouve :

  • Des traductions, notamment de d’Italo Calvino comme notamment : Le Métier d'écrire, Gallimard, 2023
  • Un essai à paraître en janvier 2024 : Au bout de la langue
  • Un recueil de poésie à paraître également  : Mode avion

Nathalie Frogneux, professeure à l’Université catholique de Louvain et chercheuse à l’Institut supérieur de Philosophie au Centre Europé dont elle est actuellement responsable.

  • Elle a dirigé : Jan Patočka. Liberté, existence et monde commun, Argenteuil, Le Cercle herméneutique, 2012.
  • Elle a coordonné avec Vincent Houillon et Claude Vishnu Spaak le numéro Spécial Patocka, Alter Revue de Phénoménologie, n° 27/2019.

Pour aller plus loin

Références sonores

  • Archive de Jan Sokol sur l'engagement de Patočka, Radio Prague Internationale en mars 2012.
  • Archive de Paul Ricoeur interrogé par Alain Finkielkraut, émission "Répliques" France Culture, mars 1991.
  • Extrait du reportage "Invitation au voyage”, l’historien Pavel Kotlar sur l'acméisme de Mandelstam, ARTE, avril 2022.
  • Lecture du poème Épigramme contre Staline par Maurice Garel dans l’émission "L’autre scène ou les vivants et les dieux" diffusée sur France Culture en juin 1981.
  • Lecture par Anna Pheulpin d'un extrait de V. Chalamov, Cherry-Brandy dans Récits de la Kolyma (1978), traduction du russe par Sophie Benech, Catherine Fournier, Luba Jurgenson, Verdier, "Slovo", 2003.
  • Chanson en fin d'émission : Casse-tête (1978), Yves Montand, de l’album Montand d’hier et d’aujourd’hui, sorti en 1980, sur des paroles de Gébé et une musique de Philippe-Gérard.

Le Pourquoi du comment, la chronique de Frédéric Worms

Retrouvez sa chronique ici.

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