Institutrices, directrices, inspectrices. Les femmes à l'école de la Troisième République : épisode • 3/4 du podcast Enseigner, histoire d'un métier

"En classe, le travail des petits", toile de Jean Geoffroy en 1889 ©Getty - Leemage/Corbis
"En classe, le travail des petits", toile de Jean Geoffroy en 1889 ©Getty - Leemage/Corbis
"En classe, le travail des petits", toile de Jean Geoffroy en 1889 ©Getty - Leemage/Corbis
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Au 19e siècle, l’enseignement se féminise et s'accompagne d'un lent mouvement d’émancipation. Si elles sont pionnières en matière d'innovations pédagogiques, les enseignantes peinent à accéder à des postes à responsabilité et subissent de profondes inégalités salariales.

Avec
  • Mélanie Fabre Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie Jules Verne
  • Laurent Gutierrez Professeur en sciences de l’éducation et de la formation à l’université de Paris Nanterre

En 1888, Marie Robert Halt fait paraître Suzette, livre de lecture courante à l'usage des jeunes filles. L'autrice est spécialisée dans les livres destinées à la jeunesse et fait partie du comité des Dames de la ligue de l’enseignement. Voici ce qu'elle écrit : "Les travaux intérieurs et les soins qui sont à la charge de la mère de famille se rapportent aux enfants, à la tenue de la maison, à la préparation des aliments, à l'entretien du linge et des vêtements. Il s'y ajoute à la campagne, la direction de la basse-cour et la culture d'une partie du jardin." Dans cet ouvrage, une phrase sonne comme une sentence : "Son rôle, en un mot, est de s'oublier et de se sacrifier pour tous." C'est cette histoire qui nous intéresse, celle de l'éducation des jeunes filles et celle de l'éducation de celles qui vont devenir des institutrices.

Les femmes et l'instruction

L’entrée des femmes au sein des structures scolaires se fait d’abord par le biais des congrégations religieuses. Ces femmes éduquent plutôt qu’elles n’instruisent, et il s’agit plutôt de transmettre des valeurs morales et religieuses que de réelles connaissances. Cet état de fait reste latent tout au long du 19e siècle. Les femmes sont de plus en plus nombreuses aux postes d'institutrices et de directrices d’établissement, mais ces progrès ne sont pas forcément synonymes d’émancipation. Il s’agit avant tout de mieux former l’épouse et la mère de famille, et de confier aux femmes des fonctions qui semblent s’accorder avec leurs supposées prédispositions naturelles pour l’empathie, l’éducation, le soin. "Il y a toujours une différence entre l'instruction telle qu'elle est donnée aux garçons et telle qu'elle est donnée aux filles. Même les réformes scolaires au moment des lois Ferry ne changent pas cette donnée de base", confirme Mélanie Fabre. "On n'attend pas la même chose d'une femme et d'un homme dans la société, donc on n'attend pas la même chose de l'instruction qu'ils vont recevoir, qui est là pour modeler les futurs adultes de manière différente selon le destin qui est associé à leur sexe."

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De nouvelles pédagogies

Il faut attendre la Troisième République pour qu’une série de lois permette le triomphe de  l’éducation laïque, encourage la création d’écoles normales d'institutrices, et comble le retard de l’instruction publique laïque féminine. "Le projet laïque est repris en 1878 par la République opportuniste et aboutit en 1880 à la création officielle d'un enseignement secondaire féminin public par le vote de la loi Camille Sée", explique Laurent Gutierrez. "On voit de fait le nombre de lycées et de collèges augmenter. En 1886, on avait ainsi 16 lycées et 19 collèges, plus 70 cours d'instruction secondaire, qui accueillent à peu près 10 000 jeunes filles, ce qui n'est pas grand-chose, mais qui constitue un départ, puisque leur nombre va doubler juste avant la Première Guerre mondiale." Laurent Gutierrez fait remarquer que c'est un projet de différenciation qui "augure ce que va être la scolarité en France, une scolarité séparée des deux sexes jusque dans les années 1960."

Dans le même temps, des innovations pédagogiques, souvent portées par les enseignantes, voient le jour et permettent de repenser l’éducation. De l’école maternelle à  la question de la mixité, les enseignantes deviennent, à l’aube du 20e siècle, les fers de lance de cette éducation nouvelle. Enseigner par le jeu, assouplir la discipline, encourager la créativité, adapter les emplois du temps et le mobilier des classes aux besoins des enfants, ces pédagogues, souvent proches des milieux dreyfusards, s’illustrent comme de grandes intellectuelles de leur temps et diffusent leurs idées par le biais de revues.

Pourtant, il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que l’enseignement féminin laïc ne triomphe définitivement. Après avoir remplacé les hommes partis au front pendant quatre années de guerre, les enseignantes n’obtiennent le même salaire que leurs homologues masculins qu’à partir de 1919.

Le Cours de l'histoire
51 min

Pour aller plus loin

  • Mélanie Fabre, Hussardes noires : des enseignantes à l’avant-garde des luttes (de l’affaire Dreyfus à la Grande Guerre), Agone, février 2024
  • Stéphanie Dauphin (dir.), Les Enseignantes en France (XVIe-XXe siècle). Sexe, genre et identité professionnelle, Presses universitaires de Rennes, 2023
  • Laurent Gutierrez, Patricia Legris, Le Collège unique. Éclairages socio-historiques sur la loi du 11 juillet 1975, Presses universitaires de Rennes, 2016

Références sonores

  • Archive d'une adaptation radiophonique de la pièce Les Femmes savantes de Molière, RTF, 21 octobre 1972
  • Archive de l'émission La femme et le foyer, RTF,  22 mai 1950
  • Lecture par Olivier Martinaud du discours "De l'égalité d'éducation" de Jules Ferry, conférence populaire donnée le 10 avril 1870
  • Archive sur le lycée Fénelon à Paris, RTF, 18 octobre 1951
  • Lecture par Jeanne Delecroix de "Les programmes de sciences dans les lycées des jeunes filles, réponse à M. Camille Sée" de Jeanne Desparmet-Ruello, L’enseignement secondaire des jeunes filles, juillet 1884
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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