Architectures libérales, avec l'auteur québécois Kevin Lambert

Kevin Lambert vient de remporter le prix Médicis 2023 pour Que notre joie demeure, une fiction mettant en scène une architecte star ostracisée car accusée de favoriser la gentrification de Montréal. Le 31 octobre 2023, l'auteur né au  Québec avait déjà remporté le prix Décembre pour ce même roman, dont il parlait ici dans "Le Book club" en septembre.

Après Tu aimeras ce que tu as tué (finaliste du prix Médicis ; prix Découverte du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean) et Querelle de Roberval (prix Sade, sélection des prix Wepler et Médicis), le  romancier québécois est de retour avec Que notre joie demeure. Il y met en scène Céline, architecte millionnaire de renommée internationale, une véritable "starchitect." Elle réalise pour sa ville, Montréal, le premier grand projet public, le Complexe Webuy. Mais voilà que le projet est stoppé par une polémique : on accuse Céline de favoriser la gentrification, de détruire le tissu social. Elle se voit renvoyée de sa propre entreprise, les Ateliers C/W, et finit par perdre totalement pied.

La distanciation, un péril pour l'auteur

Kevin Lambert s'interroge sur le roman politique contemporain : "Est-ce qu’aujourd’hui le roman politique a besoin de caricaturer ou déshumaniser pour faire passer une critique sociale ? Si c’est le cas, c’est un peu triste. Au début, j’ai trouvé vraiment mauvaises les premières pages que j’avais écrites, parce qu’on sentait trop que je voulais me distancier du personnage de Céline. Et je me suis posé la question du péril de se construire dans la distance. Est-ce que c’est utile politiquement de se détacher aussi radicalement de ses adversaires et de les décrire de façon réductrice ? Alors, tout le reste de l’écriture a été de contraire, j’ai cherché à trouver un espace d’identification. Je me suis attaché au personnage, et à la fin du livre, je ne sais toujours pas si je l’aime ou pas, cela va au-delà de ça. J’ai voulu mettre mon jugement de côté pour laisser la place au lecteur et à la lectrice."

La note vocale

Question de Quentin @ quinn_bookseller à Kevin Lambert :

Quentin : "Avez-vous besoin que la ville soit un personnage principal de vos romans ? Qu’elle forme un canevas pour créer vos personnages, et vous aide à travailler sur les classes sociales à travers un prisme sociétal ?"

Kevin Lambert : "Comme chez les auteurs de science-fiction, j’essaie toujours de ne jamais donner les lieux pour acquis, mais plutôt de les donner à lire. Pour moi, il y a quelque chose de politique dans la manière de décrire un lieu. Qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce qu’on ne montre pas ? Quelle histoire on laisse apparaître ? Dans mes précédents romans, j’ai écrit principalement sur les petites villes de région dans lesquelles j’ai grandi. J’ai déménagé à Montréal il y a 10 ans, et ce texte est le premier qui porte sur cette ville, parce j’ai eu longtemps l’impression que la ville m’était illisible. Je n’avais pas les codes pour la comprendre et quand j’y ai emménagé, j’ai trouvé qu’elle était très violente. Les violences y apparaissaient de manière beaucoup plus claire. Dans mon livre, j’ai voulu montrer la ville comme lieu où les inégalités sociales sont le plus visibles."

Le grand jeu des pages musicales

Le principe du grand jeu des pages musicales est simple. Dès qu’un lecteur ou une lectrice repère l’évocation d’un air musical au cours d’une lecture, il ou elle fait une photo du passage et nous l’envoie via l'Instagram du Book Club, ou à l’adresse mail lebookclub@radiofrance.com.  La trouvaille du jour est un extrait du livre d’ Elie Maucourant Warm Blue, tome 1 : Poison d'Azur, paru aux éditions de L’Harmattan.