Mener le peuple à la baguette, une histoire politique du pain : épisode • 3/4 du podcast Huile, pain, pâtes et pommes de terre, une histoire populaire

Ouvriers boulangers au travail, couverture du supplément illustré du Petit Journal, 28 avril 1907 - © gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Ouvriers boulangers au travail, couverture du supplément illustré du Petit Journal, 28 avril 1907 - © gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Ouvriers boulangers au travail, couverture du supplément illustré du Petit Journal, 28 avril 1907 - © gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
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Nourriture roborative par excellence, le pain a une portée symbolique forte. Qu'il représente le corps du Christ dans l’eucharistie ou que les rois fixent son prix, comment la société s’est-elle organisée autour du pain et en quoi cet aliment est-il une préoccupation pour le pouvoir ?

Avec
  • Denis Saillard Chercheur associé au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’Université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines

Prenez et mangez en tous ! Au levain ou de froment, de campagne ou de seigle, noir ou blanc, est-il un aliment plus riche de symboles que le pain ? C’est celui de l’eucharistie et celui que partagent les ouvriers à l’usine, les paysans dans les champs, au moment du casse-croûte : le peuple est l’ami du pain ! Puisqu’il est porteur de sens, et qu’il est indispensable à la survie, le pain devient dès lors un enjeu pour le pouvoir : mener le peuple à la baguette, une histoire politique du pain !

Le pain, un aliment quotidien millénaire

Pendant des millénaires, le pain fut la base de l’alimentation. Sa consommation remonte à la fin du Paléolithique. L’agro-archéologie confirme les traces de plantes non domestiquées, l’épeautre sauvage ou les tubercules de jonc, qui ont permis de produire des premiers pains. Il s’agissait alors de pain non-levé, des sortes de galettes. Dans toutes les civilisations, à travers le temps, le pain a pris des formes différentes. Il devient incontournable dans l’Occident médiéval : un individu consomme en moyenne de 650g à 1kg de pain par jour entre le XIe et le XVe siècle. 70% de l’alimentation quotidienne repose sur les céréales.

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Le pain est porteur de symboles, une manne providentielle au goût de miel, comme le pain reçu par les Hébreux dans le désert et qui ne peut être perçue que comme un miracle de Dieu (Exode, chapitre 16). La fonction religieuse du pain prend une ampleur particulière avec le christianisme, quand le pain devient "le corps du Christ" au moment de l’eucharistie, pendant la messe. Le pain réparti, que ce soit celui de la Cène ou celui des pèlerins d’Emmaüs, incarne le partage dans sa dimension rituelle et sacrée. Il réunit la communauté : les compagnons sont, par leur étymologie, ceux qui partagent le pain.

"Dans la Mésopotamie, (la) dimension symbolique (du pain) est visible dans le vocabulaire. Les premiers mots – se nourrir, manger, vivre –, sont directement liés à la céréale et au pain", fait remarquer Denis Saillard. "La racine française (du mot) pain, qui vient directement du latin panis, vient sans doute du sanskrit où la racine 'pa' veut dire 'se nourrir'. On est donc au cœur de la vie des êtres humains, depuis qu'ils ont conscience d'être des êtres humains".

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Le pain, un aliment politique

La consommation du pain est un marqueur social. Ainsi, l’aristocratie se distingue par son goût pour le pain blanc, plus cher. Il est également un enjeu politique et participe du contrat social entre le peuple et le prince, qui a l’obligation de garantir à la population que le pain ne va pas manquer. Les rois contrôlent les prix, la qualité et l’approvisionnement, surtout à partir du XIIe siècle. C’est L’Allégorie du bon gouvernement représenté à Sienne sous forme de la célèbre fresque au XIVe siècle. Les boulangers forment une profession très contrôlée, d’autant que le pain est au cœur des révoltes populaires. À la demande de pain s’associe peu à peu celle de liberté : lors de la Révolution française, en octobre 1789, les Parisiennes qui se rendent à Versailles pour chercher "le boulanger, la boulangère et le petit mitron" sont porteuses d’autres exigences que de simples considérations boulangères. C’est au fournil aussi que s’écrit l’histoire des révolutions.

Denis Saillard cite à ce propos  Louise Michel qui écrit dans ses Mémoires : "Que voulez-vous qu'on fasse de miettes de pain pour la foule des déshérités ? Que voulez-vous qu'on fasse du pain sans les arts, sans la science, sans la liberté ?" Pour l'historien, Louise Michel ajoute à la revendication première de l'élément vital, "la revendication politique de la liberté et du bonheur social".

Pour aller plus loin

  • Coline Arnaud, Denis Saillard, Pain et liberté. Une histoire politique du pain, Textuel, 2023

Références sonores

  • Archive de Raymond Olivier dans la Bibliothèque gourmande, ORTF, 15 juillet 1969
  • Archive sur la fête des "Craquelins" à Grammont en Belgique évoquée dans le Journal des Actualités françaises, 26 février 1958
  • Archive de Marcel Jullian à propos des mitrons, France Inter, 12 décembre 1983
  • Extrait du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola, 2006
  • "Chant du pain" interprété par Christian Capezzone, écrit par Pierre Dupont en 1848
  • Archive de l'adaptation radiophonique par Roger Pillaudin des Misérables de Victor Hugo, RDF, 12 mars 1962
  • Archive du témoignage de Simone, 88 ans, à propos du Front populaire, France Inter, 1er mai 1996
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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