Coquillettes à toutes les sauces ! Histoire d’un triomphe industriel : épisode • 4/4 du podcast Huile, pain, pâtes et pommes de terre, une histoire populaire

Affiche de 1911 représentant différents types de pâtes italiennes ©Getty - GraphicaArtis
Affiche de 1911 représentant différents types de pâtes italiennes ©Getty - GraphicaArtis
Affiche de 1911 représentant différents types de pâtes italiennes ©Getty - GraphicaArtis
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Des coquillettes aux spaghettis, les pâtes sèches sont aujourd’hui un produit de consommation mondiale. Pourtant, ce n’est qu’au 18e siècle qu’elles entrent véritablement dans les mœurs françaises…

Avec
  • Pierre-Antoine Dessaux Maître de conférences en histoire à l'Université de Tours

Portez à ébullition un grand volume d’eau salée, parfois avec un filet d’huile d’olive.
Remuez avec une spatule : attention à la vapeur, c’est chaud.
Huit minutes environ pour être al dente ou plus longtemps pour une cuisson à la française.
Pâtes de Lyon, vermicelles, nouilles, macaroni... Coquillettes à toutes les sauces ! Histoire d’un triomphe industriel.

Les pâtes et la gastronomie française

Au siècle des Lumières, les pâtes sèches s’imposent dans les assiettes françaises, le plus souvent sous forme de gratins ou de potages. Si leur fabrication artisanale, mais rarement domestique, se généralise, leur consommation reste essentiellement réservée aux grandes villes et aux classes les plus aisées. L’essor d’un discours culinaire et médical favorable aux pâtes sèches, perçues comme goûtues, saines et pourtant rassasiantes, permet aux vermicelles et autres macaronis de connaître une ascension fulgurante.

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Les discours médicaux anciens, qui reprennent les principes diététiques de Galien, vantaient déjà les mérites des pâtes sèches, comme l’observe Pierre-Antoine Dassaux : "(Les pâtes) sont plutôt destinées à des estomacs chauds parce que ce sont des aliments considérés comme lourds. (…) Cuites en bouillon, on les donne plutôt à des jeunes en pleine croissance. D'ailleurs, on les trouve à la table de Louis XIII enfant, par exemple. Il y a très régulièrement (des pâtes) à la table du roi et pas uniquement les jours de maigre. Elles sont également proposées aux travailleurs de force."

Le Cours de l'histoire
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Comment les pâtes sèches ont-elles intégré le gratin des pratiques alimentaires ?

Les pâtes ne tardent pas à entrer dans les cuisines bourgeoises, où les repas tendent à se simplifier. Ce produit a l’immense avantage de n’être pas saisonnier, d’être simple à préparer et toujours présent sur les étals d’épicerie. À partir du milieu du 19e, la consommation de ces "pâtes d’Italie" ne se limite donc plus aux milieux les plus privilégiés. Elle participe à la transformation générale du régime alimentaire induite par l’urbanisation, la progression du revenu moyen et plus généralement la baisse des prix relatifs des produits d’épicerie. La fabrication de ce mets de plus en plus populaire quitte les ateliers de fabrication artisanale et entre de plein fouet dans les logiques marchandes et industrielles de la fin du siècle. Alors que la production devient plus massive et standardisée, le rationnement des pâtes alimentaires en 1917 relance la croissance de la demande et assure un niveau de profit considérable à cette industrie. Entre 1911 et 1920, la consommation de pâtes alimentaires est multipliée par trois.

Du mets d’accompagnement au plat unique

Ce succès industriel retentissant se poursuit et s’affirme durant les décennies suivantes, à la faveur d’innovations comme celles de l’industriel Jean Panzani. En songeant à remplacer les boîtes de fer dans lesquelles les pâtes étaient vendues jusqu’alors par de la cellophane, le géant industriel assure la qualité et la conservation du produit. De plus, le chef d'entreprise mise sur le charme d’un repas typiquement italien comme argument marketing majeur : en produisant et en vendant du fromage râpé, du vin ou des sauces tomate, Panzani impose les pâtes comme plat principal dans les habitudes françaises. Selon Pierre-Antoine Dassaux, cette pratique alimentaire est "l’importation du modèle américain du spaghetti dinner, qui est lui-même une promotion des producteurs italiens aux États-Unis pour le nouveau format spaghetti, relativement récent dans les usages. L'idée de se contenter (des pâtes) comme plat principal n'était absolument pas la logique de la cuisine française où c'est un accompagnement de plats."

Le Cours de l'histoire
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Pour aller plus loin

  • Pierre-Antoine Dessaux, Vermicelles et coquillettes. Histoire d'une industrie alimentaire française, Presses universitaires François Rabelais, 2023

Références sonores

  • Sketch "La confiture de nouilles" de Pierre Dac, 1934
  • Lecture par Jeanne Coppey d'un extrait de Les soupers de la cour, ou l’art de travailler toutes sortes d'aliments pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons de Joseph Menon, 1755
  • Archive INA du professeur Edouard de Pomiane et de la chanteuse Renée Lebas à propos des pâtes et de la diététique, 22 avril 1951
  • Lecture par Jeanne Coppey d'un extrait de Le Père Goriot de Balzac, 1835
  • Chanson Les Nouilles par Les Charlots, 1967
  • Archive INA de l'émission L'Assiette anglaise, Antenne 2, 7 janvier 1989
  • Archive INA des industriels Marcelle et Jean Panzani, Rhône-Alpes Première, 18 mai 2000
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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