L'économie selon Doris Lessing : épisode • 82 du podcast L'économie selon...

L’écrivaine Doris Lessing en France le 28 février 1990. ©AFP - Louis Monier
L’écrivaine Doris Lessing en France le 28 février 1990. ©AFP - Louis Monier
L’écrivaine Doris Lessing en France le 28 février 1990. ©AFP - Louis Monier
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Anticoloniale et inspirée par le marxisme, comment l'écriture de Doris Lessing se substitue-t-elle au militantisme pour dénoncer les rapports de domination genrés, sociaux et économiques ?

Avec
  • Nicolas Boileau Professeur de littérature britannique à l'Université Aix-Marseille, spécialiste du féminisme et des théories du genre dans la littérature et des œuvres de Doris Lessing et Virginia Woolf
  • Marc Lenormand Maître de conférences en études anglophones et civilisation britannique à l’Université Paul Valéry à Montpellier

Doris Lessing est née en Perse en 1919, et a passé sa jeunesse en Rhodésie du Sud, actuel Zimbabwe et ancienne colonie britannique. Cette expérience africaine la marque à jamais, imaginairement et politiquement : elle devient, dès son arrivée à Londres en 1949, une femme engagée contre l’impérialisme et proche des mouvements anticoloniaux, dans une époque où la tutelle britannique sur les colonies commence à s’effriter.

C’est par ses engagements anti-impérialistes que Doris Lessing entre d’abord dans le militantisme, et la dénonciation de la situation coloniale et des inégalités entre colons blancs et noirs africains est centrale dans ses fictions (de Vaincue par la brousse au Carnet d’Or, on retrouve la thématique africaine). En arrivant à Londres, elle se rapproche ainsi des milieux marxistes et entre au Parti Communiste britannique, à un moment où une certaine partie de la gauche se trouve déçue par l’expérience de gouvernement travailliste (1945-51). Doris Lessing fait alors partie de cette nouvelle génération de militants de gauche qui estime que le Parti Travailliste, malgré son programme social, n’est pas allé assez loin entre 1945 et 1951. "Dans les années 1950, on a une jeunesse qui se trouve en rupture progressive avec le Parti travailliste, sur la question de savoir s’il faut poursuivre ou non la transformation socialiste du Royaume-Uni, mais aussi sur les questions de politique étrangère", rappelle Marc Lenormand.

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Femme de gauche, engagée contre les inégalités à la fois raciales et genrées, son militantisme colore ses romans. Mais rapidement, dès la fin des années 50, elle préfère l’écriture au militantisme et voit dans le roman une force subversive supérieure à celle de la politique et de l’idéologie. "Après sa rupture avec le Parti communiste britannique, on remarque dans sa fiction et ses textes un effacement progressif d’une prise de position publique, en faveur d’idéaux plus généralistes puisqu’elle ne va plus vraiment parler de politique sinon de manière critique, en évoquant la désillusion, et c’est ce que fait Le Carnet d’or au fond, [où Anna] ne parvient plus à faire corps avec l’idéologie dominante", note Nicolas Boileau.

C’est donc dans ses fictions qu’elle s’engage à dénoncer, de manière subjective et intérieure, les mécanismes de domination (raciaux, genrées, économiques, sociaux…). C’est avec le Carnet d’Or paru en 1962 qu’elle devient une autrice mondialement reconnue. Portée aux nues en tant qu’autrice féministe, dénonçant de manière intime la condition des femmes dans les années 50, elle refusera pourtant de se voir accoler l’étiquette de féministe et gardera ses distances avec les milieux de militantes, pourtant très actifs au moment de la seconde vague du féminisme. Encore une fois, elle préfère le monde du récit à la scène idéologique. C’est donc dans des fictions intimes, intérieures, et à travers l’exploration de la psyché de personnages singuliers, que Doris Lessing nous parle d’économie - pointant les mécanismes de domination sociale et leurs conséquences psychologiques.

La Compagnie des oeuvres
59 min

Références sonores

Références musicales

  • Skokiaan de Bulawayo Sweet Rhythms Band
  • oral de Björk ft. Rosalía

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