Éric Dupond-Moretti relaxé : victoire ou malaise ?

Le ministre de la Justice, relaxé devant la CJR, le 29 novembre 2023 ©AFP - ALAIN JOCARD / AFP
Le ministre de la Justice, relaxé devant la CJR, le 29 novembre 2023 ©AFP - ALAIN JOCARD / AFP
Le ministre de la Justice, relaxé devant la CJR, le 29 novembre 2023 ©AFP - ALAIN JOCARD / AFP
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Le garde des Sceaux a gagné son procès devant la Cour de justice de la République. Il est "non-coupable". Mais le malaise politique a-t-il disparu ?

Acquitator a été... acquitté, ou relaxé plutôt. Acquitator, c’était le surnom d’Eric Dupond-Moretti, quand il était avocat. En Cour d’assises, pour ses clients, il avait obtenu 120 acquittements. Cette fois, c’est son tour, devant la Cour de justice de la République. Que dit la Cour ? Qu’une faute a été commise - elle décrit une "situation objective de conflits d’intérêts", mais qu’Éric Dupond-Moretti n’a pas voulu mal faire. Une faute, mais pas d’intention de la commettre... Le ministre est "non-coupable".

Double victoire politique. Pour lui : il garde son poste. Et pour Emmanuel Macron, qui ne lui a jamais demandé de démissionner, malgré sa mise en examen. Le chef de l’État l’a reçu hier soir, après le jugement. Il le garde au gouvernement. Il a besoin de lui… Contre Marine Le Pen, dans la majorité, Eric Dupond-Moretti est un des plus acharnés, un des plus virulents. Cette semaine, encore, à l’Assemblée nationale, il l'a attaquée, accusant le RN d'opposer "la France rurale et tranquille, catholique et blanche, à la France des cités, la France des Mohammed, des Mouloud, et des Rachid" :  "Vos propos sont incendiaires et ils amènent dans la rue les militants de l’ultradroite qui sont bien plus proches de vous que de moi". Les députés du RN étaient furieux. Ils ont quitté l'hémicycle. Des scènes comme celle-là, vous allez en revoir. Dans la majorité, aujourd’hui, l’ancien avocat a un vrai rôle politique. Sa relaxe va lui donner plus d’espace encore.

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Victoire judiciaire, malaise politique

Le sujet est-il clos ? Judiciairement, oui, sauf si le parquet se pourvoit en cassation. Politiquement, non. Deux malaises subsistent. Le premier, comme après tous les jugements de la CJR, la Cour de justice de la République, ce tribunal qui n’en est pas un. Qui a jugé Eric Dupond-Moretti ? Des magistrats, mais surtout des parlementaires, de la majorité et de l’opposition. Autrement dit, des amis et des adversaires du ministre de la Justice. Dans les deux cas, c’est problématique, même lorsque ces parlementaires font tout pour être impartiaux. On y revient toujours : comment des politiques peuvent-ils juger d’autres politiques ? Comment une juridiction anormale peut-elle rendre des jugements normaux ? Comment ne pas alimenter le soupçon ? Quelle image pour la justice ? Et quelle image pour la politique ?

Le Billet politique
3 min

Le deuxième malaise est très concret. Eric Dupond-Moretti est relaxé. Il se remet au travail, au milieu des magistrats. Et là, c’est très compliqué. Peut-il faire comme si rien ne s’était passé ? Rappelons le point de départ de cette affaire : des syndicats de magistrats accusaient Eric Dupond-Moretti d’avoir profité de ses fonctions pour régler des comptes… avec des juges qu'il avait mis en cause et affrontés quand il était avocat. Vous me suivez ? Ces juges, il les retrouve maintenant place Vendôme. Comment travailler avec eux ? Alors que des magistrats sont venus témoigner à son procès, certains le mettant en cause ? Comment faire ? Situation absurde…

Hier soir, Eric Dupond-Moretti était sur France 2. Il affirme que la page est tournée, qu’il n’a jamais été "en guerre" contre personne. Mais le ressentiment est là, forcément, chez le ministre, et chez les syndicats de magistrats, qui ont essuyé une défaite hier. Avant le procès, leurs relations étaient exécrables. Après ce jugement, peuvent-elles devenir meilleures ? C’est tout le paradoxe… Pour la justice, Eric Dupond-Moretti a obtenu des moyens inédits, mais en même temps, avec les magistrats, la relation était et reste tendue. Le procès n’a rien réglé. Ce n’était pas son rôle. Le malaise n’a pas disparu.

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