L'ombre de Rimini (1920-1939) : épisode • 1/5 du podcast Fellini, l'illusionniste

Federico Fellini sur le tournage d'Amarcord en 1973 ©Getty - Vittoriano Rastelli / Corbis
Federico Fellini sur le tournage d'Amarcord en 1973 ©Getty - Vittoriano Rastelli / Corbis
Federico Fellini sur le tournage d'Amarcord en 1973 ©Getty - Vittoriano Rastelli / Corbis
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Tout ce qui est fellinien naît à Rimini. De la magie de la campagne romagnole, à l'exotisme du Grand Hôtel, en passant par le mythique cinéma Fulgor, cette traversée ravive des scènes d’Amarcord, film qui, en 1973, met en récit, à partir d’une mémoire réinventée, une enfance universelle.

Federico Fellini naît le 20 janvier 1920 à Rimini, en Émilie-Romagne. Cette petite ville du littoral adriatique alterne entre l’animation d’une station balnéaire et le repli hivernal d’un bourg somnolent. Mais il y a en réalité deux Rimini, comme il y a deux saisons, bien séparées par la gare et la voie ferrée. D'un côté, la Rimini historique des petites républiques médiévales, avec ses vestiges romains, son palais municipal, ses fontaines et ses places gothiques. De l'autre, s'étendent des plages à perte vue. À côté du Parco Fellini, trône le fameux Grand Hotel, sorte de mirage Belle Époque qui fait penser à "Istanbul, Bagdad, Hollywood", selon le cinéaste, au milieu de la station balnéaire, étendue sur la mer Adriatique.

Le Grand Hotel de Rimini 4 juillet 2011
Le Grand Hotel de Rimini 4 juillet 2011
© Getty - Anzeletti

Lieu de naissance et d’adolescence de Fellini, Rimini est l'alpha et l'oméga de son œuvre. C’est notamment le cas d’Amarcord, film dans lequel Fellini revisite la ville de son enfance. Il y raconte la vie paresseuse de cette province italienne, écrasée sous la double autorité du fascisme mussolinien et de l' Église catholique, et dans laquelle la  sexualité était réprimée par l’ordre moral. Conteur d’une communauté régionale aux intonations dialectales, Fellini y met en scène une galerie de personnages à la fois grotesques et fabuleux : Titta (le double de Fellini adolescent) et ses parents, le grand-père libidineux, l’oncle fou, la religieuse naine, La Gradisca (vamp locale) et ses sœurs, la Tabaccaia à la poitrine généreuse, l’incandescente Volpina, les enfants turbulents et les professeurs imbus de leur autorité. Cette  Italie-là, provinciale, médiocre, parfois obscène, cette "Italie typique" des origines de Fellini, est à la fois celle qu'il déteste et celle sur laquelle il ne peut s'empêcher de jeter un regard de tendresse.

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L'actrice Magali Noël dans le rôle de la Gradisca  sur le tournage d'Amarcord de Federico Fellini 1973
L'actrice Magali Noël dans le rôle de la Gradisca sur le tournage d'Amarcord de Federico Fellini 1973
© Getty - Bettmann

À Rimini, le jeune Fellini poursuit une scolarité banale, passe sa jeunesse à dessiner, à lire Il Corriere dei piccoli, le magazine populaire pour enfants qui reproduit les  comics américains. Il profite de la saison estivale pour passer ses vacances dans la maison familiale de Gambettola. C’est dans cette maison qu’il découvre ce que la campagne italienne contient de magique et de poétique : des rituels païens aux personnages loufoques et parfois fous qui peuplent ces terres paysannes, le merveilleux dialecte romagnol stimule déjà l’imaginaire du futur cinéaste. Aussi, toutes les célèbres héroïnes felliniennes de la Saraghina, à la géante de  Casanova, sont des réminiscences de ces paysannes qu'il regardait travailler aux champs.

"Au cinéma Fulgor, j'étais dans les bras de mon père"

Cinéma Fulgor à Rimini
Cinéma Fulgor à Rimini
- Comune di Rimini

En 1926, Federico Fellini découvre par ailleurs le  cinéma au Fulgor, sur les genoux de son père, devant Maciste aux enfers (1925) de Guido Brignone, film muet plein de diablesses dénudées : “J’étais dans les bras de mon père, la salle était pleine, il faisait chaud et l’antiseptique qui était vaporisé grattait la gorge et m'étourdissait.” (Federico Fellini, Faire un film, Einaudi, 1980, traduit de l’italien par Olivia Gili.) Si rien ne prédestine à une carrière cinématographique ce spectateur ordinaire, Fellini avait pourtant construit un monde imaginaire dans sa chambre, donnant aux quatre piliers de son lit les noms des quatre cinémas de Rimini. C'est là, avant de s'endormir, que ses premières histoires imaginaires prennent forme, signe précoce d’un ennui qu’il faut rompre.

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"Je suis retourné tous les jours au cirque"

Outre le cinéma, le jeune Fellini fait aussi la découverte d’un autre art du spectacle, dont il a souvent raconté l’apparition sous ses fenêtres lorsqu’il était enfant. En pleine nuit, dans sa chambre, Fellini voit passer des lumières énigmatiques et entend de l’autre côté de sa fenêtre, des grognements essoufflés, des cliquetis métalliques, et un homme, qui répète : "Plus haut ! Plus haut !". Dehors, on monte un chapiteau. Intrigué, le garçon saute de son lit, descend les marches et s’infiltre dans l’antre fantasmagorique d’un cirque : “et le fait est que je suis retourné tous les jours au cirque tant que le chapiteau est resté là, sous nos fenêtres, suivant toutes les répétitions et tous les spectacles.” (Fellini par Fellini, entretiens avec Giovanni Grazzini, Flammarion, 2007, traduit de l’italien par Nino Frank.) La légende raconte que le petit Federico est tellement émerveillé par les clowns qu’il tente de fuir sa maison pour suivre la compagnie de saltimbanques.

Giulietta Masina et Anthony Quinn dans le film "La Strada" de Federico Fellini en 1954
Giulietta Masina et Anthony Quinn dans le film "La Strada" de Federico Fellini en 1954
© Getty - Ponti-De Laurentiis Cinematografica

L’art des clowns le fascine : explosion de gags, de mouvements, de couleurs, de cris et de musiques, spectacle total entre les mains d’un démiurge. S’il n’avait pas été metteur en scène, Fellini aurait été directeur de cirque. Plus tard, il leur rendra un dernier hommage dans Les Clowns (1970), inspiré par ses souvenirs d’enfance et sa rencontre avec ces êtres grotesques, débraillés, ambassadeurs ivres et délirants d’un monde perdu.

Federico Fellini dirige un acteur sur le tournage de "Les Clowns" en 1970
Federico Fellini dirige un acteur sur le tournage de "Les Clowns" en 1970
© Getty - Mondadori Portfolio

Rimini c’est encore la plage, où l’enfant puis l’adolescent, que l’on surnommait " Gandhi" en raison de son corps jugé trop grand et trop maigre, va observer les belles étrangères et commencer à rêver d’horizons plus larges. C’est aussi là, à l’été 1937, qu’il propose ses caricatures aux touristes pour le magasin de portrait le "Febo" qu’il vient de fonder avec son ami peintre Demos Bonini. Dès 1938, avant même de terminer l'école, Fellini envoie ses créations aux journaux. Le prestigieux journal La Domenica del Corriere et l'hebdomadaire satirique florentin Il 420 publient déjà ses caricatures et ses chroniques humoristiques. Fellini rêve alors d’un ailleurs où il pourrait pleinement se réaliser. C’est décidé, sous prétexte de faire des études de droit, il quitte sa Rimini natale pour tenter sa chance à Rome, où il s’installe le 4 janvier 1939, bien décidé à se consacrer au métier de journaliste.

Les Nuits de France Culture
2h 00
  • Avec Miro Gori (poète), Davide Bagnaresi (biographe), Jean Noel Castorio (historien), Jean Max Méjean (critique de cinéma), Gérald Morin (ancien assistant à la réalisation de Fellini), Olivier Maillart et Sophie Guermès (professeurs de littérature)
  • Frédéric Pierrot dans la voix de Federico Fellini
  • Collaboration : Lucas Boland
  • Doublage : Francois Briault et Adrien Michaux
  • Prise de son : Romain Luquiens Pierre Henry et Olivier Harnay
  • Mixage : Claire Levasseur
  • Documentation : Antoine Vuilloz (musique) et Anne-Lise Signoret (littérature)
  • INA extraits d'archives Emmanuelle Luccioni
  • Extraits d’interviews de Federico Fellini issues de Fellini par André Delvaux et Dominique Delouche 1960-1962, Je suis un grand menteur de Damian Pettigrew 1992, et les extraits sonores des Vitelloni, des Clowns, et Amarcord

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