David Ricardo (sinon rien), le capitalisme sans modération : épisode • 2/4 du podcast État et économie, une histoire de pouvoir

Comment David Ricardo pense-t-il le capitalisme industriel de la société anglaise ? - Tableau de la mine de Murton par John Wilson Carmichael, 1843 ©Getty - Sepia Times/Universal Images Group via Getty Images
Comment David Ricardo pense-t-il le capitalisme industriel de la société anglaise ? - Tableau de la mine de Murton par John Wilson Carmichael, 1843 ©Getty - Sepia Times/Universal Images Group via Getty Images
Comment David Ricardo pense-t-il le capitalisme industriel de la société anglaise ? - Tableau de la mine de Murton par John Wilson Carmichael, 1843 ©Getty - Sepia Times/Universal Images Group via Getty Images
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En 1817, David Ricardo fait paraître un ouvrage majeur : "Des principes de l’économie politique et de l’impôt". Dans une Angleterre agricole en cours d’industrialisation, comment David Ricardo perçoit-il le progrès de la société anglaise ? En quoi est-il un visionnaire du capitalisme industriel ?

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Des principes de l’économie politique et de l’impôt est le titre d’un ouvrage paru en 1817, signé par l’économiste anglais David Ricardo. "Économiste", telle est l’étiquette qui lui est restée pour la postérité mais, en son temps, Ricardo aurait été qualifié de financier, d’homme d’argent, voire de député, ce qu’il fut à partir de 1819. Qu’est-ce qui a pu conduire cet homme à penser l’économie, dans un monde en pleine transformation, celui de l’industrialisation ? L’héritage de Ricardo est considérable : David Ricardo (sinon rien), pour un capitalisme sans modération !

Un financier dans la City de Londres

Issu d’une famille de financiers juifs d’origine séfarade, David Ricardo est né en 1772 à Londres. Après un passage à l’école talmudique d’Amsterdam, il travaille avec son père dans la société de courtage de la Bourse de Londres. En 1793, il épouse Priscilla Wilkinson, une quaker, ce qui entraîne une rupture brutale des liens avec sa famille.

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Lancé à pleine vitesse en tant qu’intermédiaire sur la place financière londonienne, David Ricardo profite du contexte économique des guerres napoléoniennes pour faire fortune. Il travaille en tant que négociant dans les titres de dette publique à un moment où la City domine les circuits des finances mondiales. "Ricardo est très bon dans le négoce de la dette publique anglaise", reconnaît Ghislain Deleplace, professeur en sciences économiques. "En quelques années, il amasse une fortune supérieure à celle de son père (...) et, quand il meurt 30 ans plus tard, en 1823, il a un revenu (équivalent à) environ 7 millions d'euros par an, et laisse à ses héritiers une fortune d'environ 200 millions d'euros actuels. C'est de loin l'économiste qui a le mieux valorisé sa connaissance du monde économique."

Après une longue carrière dans le monde des affaires, il prend sa retraite en 1814 pour se consacrer à l’économie et à la politique.

Un capitaliste entre deux mondes

La société anglaise du début du 19e siècle – encore majoritairement agricole – est dominée par les propriétaires fonciers, c’est-à-dire l’aristocratie terrienne. Le suffrage n’est pas universel, mais est basé sur la propriété des terres, perçue comme la source véritable de la richesse. David Ricardo appartient, lui, à la classe des capitalistes. Il considère les propriétaires fonciers et la rente comme une entrave à la croissance et à l’accumulation des richesses. En 1815, il s’oppose à la mise en place des lois sur le blé anglais, dites Corn Laws. Contrairement à son fidèle ami Thomas Malthus qui défend la cause, il perçoit cette mesure protectionniste comme un danger pour la croissance de l’économie anglaise.

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Un visionnaire du capitalisme industriel ?

En 1817, David Ricardo fait paraître l’ouvrage le plus important de sa carrière d’économiste : Des principes de l’économie politique et de l'impôt. Doué d’une réflexion rationaliste, il est le premier à faire de l’économie une science en analysant les idées économiques sous le critère exclusif de la raison. Selon Ghislain Deleplace, "Ricardo ne parle pas uniquement de monnaie et de finance. C'est toute la structure du système économique qui l'intéresse. Marx parlait de physiologie du système bourgeois."

Dans Des principes de l’économie politique et de l'impôt, David Ricardo cherche à montrer que le moteur général du progrès des sociétés n’est pas la rente foncière mais le profit. Le véritable capital est l’ouvrier qui peut créer du surplus, du profit et de la richesse, pourvu que ce capital ne soit pas mangé par la rente foncière. Selon lui, la répartition des revenus entre les classes est conflictuelle. Avant Karl Marx, David Ricardo se place comme un penseur précurseur du capitalisme industriel.

"L'image que l'on a gardée de Ricardo a été polluée par ce qu'en a dit Marx. Il lui a fait beaucoup de mal en disant du bien", remarque Ghislain Deleplace. Pour le professeur en sciences économiques, certaines théories développées par Ricardo "vont comme un gant" au philosophe prussien : "le travail crée de la richesse", "il y a une opposition d'intérêts entre les travailleurs et les capitalistes", "l'avenir du capitalisme n'est pas garanti"... Il constate que Marx a pu acquérir une légitimité en s'appuyant sur l'économiste anglais. "Le problème, c'est que, à partir de la seconde moitié du 19e siècle, les gens vont comprendre Ricardo à travers les idées de Marx", regrette Ghislain Deleplace.

Bibliographie sélective

  • Ghislain Deleplace, Histoire de la pensée économique. Du "royaume agricole" de Quesnay au "monde à la Arrow-Debreu", Dunod, 3e édition, 2018
  • Ghislain Deleplace, Ricardo on Money. A Reappraisal, Routledge, 2017 (en anglais)

Références sonores

  • Lecture par Lara Bruhl d'un extrait des Lettres philosophiques de Voltaire, Sixième lettre, Sur les presbytériens, 1733
  • Lecture par Lara Bruhl d'un extrait de Des principes de l’économie politique et de l’impôt de David Ricardo, 1817
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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