Dans la bibliothèque d'Adèle Haenel

Pour cette collection d’émissions, lorsque nous proposons à nos invités de nous parler de leurs bibliothèques, ils sont libres de s'emparer de l’exercice à leur manière. C'est un autoportrait, ils et elles ont les clefs de chez eux. Si la force de la lecture et la place des livres est toujours un fil conducteur, la forme et le fond de ce qui s'y déploie évolue au diapason de celles et ceux qui se prêtent au jeu. A travers les livres, il est possible de parler de soi et du monde, de soi dans le monde, du monde en soi. Les lectures qu’Adèle Haenel a choisi de nous faire partager font apparaître les autres et le monde. Tentatives d'éclaircissement, d'invention ou de précision de nos langages, parfois au travers de la clarté théorique ; ombres du poème, force du personnage romanesque, humour, architecture de la phrase. Dans la bibliothèque de la comédienne, nous rencontrons les mots de Marie Ndiaye, de Sandra Lucbert, de Chowra Makaremi, de David Wade Mills, du poète Refaat Alareer. Nous y entendons les voix de celles et ceux dont ils sont l’écho.

Adèle Haenel est à l’affiche du spectacle Extra Life , mis en scène par Gisèle Vienne, en tournée. Toutes les dates à retrouver  ici.

Retrouvons les livres étapes d'Adèle Haenel

Sandra Lucbert, Défaire, voir (Amsterdam, 2024)

"J’ai eu l'occasion de découvrir Sandra Lucbert grâce aux conférences organisées par Elsa Dorlin et Gisèle Vienne au Centre National de la Danse où elle est venue donner une conférence dans le cadre d'un séminaire qui s'appelle "Travailler la violence". Je trouve qu’elle est d’une clarté d’une puissance incroyable. Son précédent livre "Personne ne sort les fusils relatait" le procès France Télécom-Orange de 2019. Elle a également écrit "Le ministère des Comptes Publics". Ses livres sont de petits livres qui ne sont pas intimidants, ni par leur taille, ni par leur prix et vraiment, je les recommande à tout le monde. Pour moi, Sandra Lucbert est l’une des plus grandes autrices contemporaines, à la fois en littérature et en théorie." Adèle Haenel

Marie Ndiaye, Mon cœur à l’étroit (Gallimard, 2007)

"Je considère que Marie Ndiaye est une autrice majeure aujourd'hui, extrêmement puissante, qui a écrit "Mon cœur à l'étroit", mais aussi "Trois femmes puissantes", ainsi que "Rosie Carpe" , pour ne citer qu’eux. Pour moi, ces trois livres sont vraiment très forts, et j’avais envie de partager de la littérature contemporaine en langue française. Le livre "Mon cœur à l’étroit "est construit de telle façon que la question raciale n'est jamais abordée de manière frontale, la couleur de peau des personnages principaux, n'est pas dite, mais on la comprend, elle déborde de toutes parts dans le livre. Le personnage principal fait l’expérience du racisme, c’est une expérience de la perception très concrète, mais qui passe par une espèce d'incompréhension des structures dans lesquelles elle a cru pouvoir évoluer, et qui, tout d'un coup, révèlent leur méchanceté, révèlent leur cruauté et l'envahissent. Ce livre est incroyablement écrit, il y a un truc très kafkaïen, elle ne comprend pas ce qu’elle a fait et de quoi elle est coupable. Je trouve ça extrêmement beau et émouvant." Adèle Haenel

Charles Wade Mills, Le contrat racial (Mémoire d’encrier, 2023)

"Dans ce livre, ce que dit Charles Miles, c'est que le contrat social c’est une entente afin de mal interpréter le monde. C'est un système cognitif défaillant pour être socialement fonctionnel. En fait, détruire la structure coloniale du monde, n’est pas juste une façon d’aider les personnes qui subissent le racisme, c’est véritablement la seule manière d’être humain. Là, je me rends compte que les livres que je lis se sont quand même appelés les uns les autres, et si j’ai eu envie de lire Le contrat racial, c’est parce que j’avais lu notamment les livres d'Elsa Dorlin qui a aussi beaucoup travaillé la matrice de la race et qui continue à travailler dans cette veine-là." Adèle Haenel

Chowra Makaremi, Femme ! Vie ! Liberté ! Echos d’un soulèvement révolutionnaire en Iran (La Découverte, 2023)

"Lire un extrait du texte de Chowra Makaremi, c’est inviter les auditeurs et auditrices à suivre le travail d'une chercheuse que j'estime énormément, qui a une grande clarté dans l'expression, et qui donne à voir nos propres systèmes de perception. C’est aussi, parler de la révolte des femmes iraniennes, un mouvement d’émancipation qui a été une inspiration très forte pour toutes les féministes du monde entier. C’est enfin, dire que la révolte a tenu très longtemps, frontalement, qu'aujourd'hui elle couvre, que la répression est extrêmement forte, mais que les iraniens et iraniennes se battent pied à pied. Je voulais rendre hommage à toutes les personnes qui se sont soulevées, qui ont participé à ces mouvements, et montrer qu’elles ont insufflé un souffle très puissant aussi bien de courage politique que d'intelligence théorique." Adèle Haenel

Un poème de Refaat Alareer : S’il est écrit que je dois mourir , titre original : If I must Die  traduction de Nada Yafi

"Il ne peut pas y avoir un silence autour de ce qui se passe en Palestine, de ce qui se passe à Gaza. Donc, je voulais juste donner une voix pour lutter contre ce silence épais qui est orchestré par des algorithmes et par les médias dominants. Cet intellectuel faisait partie d'une organisation qui s'appelle "We Are Not Numbers", et je voulais enfin dire que toutes ces vies comptent et qu’il faut essayer de redonner de l’épaisseur à ce qui est effacé derrière la déshumanisation coloniale du monde." Adèle Haenel

Archives

Marie Ndiaye, émission Les mardis littéraires, Pascale Casanova, France Culture, 20/03/2007

Chowra Makaremi, émission La suite dans les idées, Sylvain Bourmeau, France Culture, 09/09/2023

Références musicales

Léonie Pernet, Les chants de Maldoror

Léonie Pernet, Revenge porn

DrakhaBrakha, Vesna

Laura Cahen, Toutes les filles