La gauche et les paysans

Des agriculteurs lors d'une manifestation organisée par les sections locales des principaux syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs, bloquant l'autorou ©AFP - FREDERICK FLORIN
Des agriculteurs lors d'une manifestation organisée par les sections locales des principaux syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs, bloquant l'autorou ©AFP - FREDERICK FLORIN
Des agriculteurs lors d'une manifestation organisée par les sections locales des principaux syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs, bloquant l'autorou ©AFP - FREDERICK FLORIN
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Comme tous les vendredis, Géraldine Muhlmann et ses invités analysent l'actualité avec philosophie. Suite au mouvement social des agriculteurs, comment analyser le rapport entre la gauche et les paysans ?

Avec
  • Apolline Guillot Journaliste pour Philonomist et Philosophie magazine et professeure agrégée de philosophie
  • Edouard Lynch Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2, membre du Laboratoire d’études rurales, spécialiste de l’histoire de la paysannerie française au XXe siècle
  • Stathis Kouvélakis Enseignant en philosophie au King’s College de Londres 2002 à 2020

Comme tous les vendredis, Géraldine Muhlmann propose avec ses invités de revenir sur un sujet d'actualité. Ce vendredi, ils se penchent sur le mouvement social des agriculteurs. Le rapport entre la gauche et les agriculteurs semble difficile : comment l'expliquer ?

Le problème des agriculteurs aujourd’hui : une question de représentativité ?

Le récent mouvement social des agriculteurs a troublé le paysage politique. Comment expliquer ces revendications ? Pour Apolline Guillot, “si on parle beaucoup de l'intégration de l'agriculture dans le capitalisme, l'intégration de l'agriculteur dans la démocratie pose aussi question”. Aujourd’hui en effet, on observe une faible représentation des agriculteurs dans le monde politique, ce qui explique cette “impression d'avoir des normes qui sont prescrites, un travail qui est prescrit et qui n'est pas délibéré en commun à partir du travail réel”.

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La faute à Marx ?

Cette question de la représentation se retrouve dans le texte de Karl Marx Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte publié en 1852. “S’il ne faut pas forcément rechercher les racines de la difficulté de la gauche dans tel ou tel texte de Marx” selon Stathis Kouvélakis, “ce texte est utile pour comprendre ce qui s’est joué dans l’histoire française au 19ème siècle”. Marx montre que “Louis-Napoléon Bonaparte a conquis le pouvoir en s'appuyant essentiellement sur une masse paysanne”. Ce texte a souvent mal été compris : “ce que veut dire Marx, c'est que cette paysannerie parcellaire a une homogénéité, c'est elle qui domine la paysannerie française, il y a une homogénéité de conditions, mais elle ne peut pas être un acteur politique autonome au niveau national”. Plus précisément, du fait de sa très grande fragmentation locale, “elle ne peut pas atteindre le degré d'homogénéité et d'autonomie politique que le salariat ou la bourgeoisie : la paysannerie va donc servir toujours de force d'appoint à d'autres classes sociales”.

La gauche et les agriculteurs : une relation difficile mais possible

Peut-on expliquer ce difficile lien entre la gauche et et la paysannerie à l’aide de l’histoire ? Edouard Lynch nous rappelle tout d’abord que “ la fiscalité, de façon générale, a toujours été un élément central dans les révolutions paysannes, sous l'Ancien Régime déjà, à l'époque moderne et à l'époque contemporaine : l'agriculteur est donc très sensible à la dimension fiscale ”. Or, “ cette surréaction souvent par rapport à la fiscalité est toujours très mal perçue ou en tout cas perçue comme quelque chose d'assez illégitime ”. Toutefois, ce qui est nouveau aujourd’hui est “cette question des normes environnementales qui vient effectivement nourrir une colère paysanne qui avant ne prenait pas ce chemin”. Il rappelle également qu’il y a “au-delà de l'exaspération des agriculteurs, une certaine forme aussi d'instrumentalisation politique de la part de la FNSEA, qui, depuis très longtemps, a fait de ce levier anti-environnemental un des moteurs de sa position politique et a emporté le gouvernement avec lui”. Enfin, il ne faut pas oublier que la gauche a déjà réussi à parler avec le monde agricole : “le socialisme puis le communisme en France ont bataillé ferme pour essayer de de se créer des alliés au sein de cette masse paysanne, et notamment du côté de ces petits exploitants”. Ils ont réussi “en jouant notamment sur cette opposition entre les petits et les gros, ils ont construit quand même un capital électoral qui était non négligeable pendant toute la période de l'entre-deux-guerres et même après”.

Pour en parler

Stathis Kouvélakis, professeur au King's College de Londres de 2002 à 2020. Parmi ses travaux, on trouve :

Edouard Lynch, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2, membre du Laboratoire d’études rurales, spécialiste de l’histoire de la paysannerie française au XXe siècle. Il est l'auteur de :

  • Edouard Lynch & Agnès Poirier,  Nous, paysans : une épopée moderne (Flammarion, 2021)
  • La noix de Grenoble : histoire(s) d'une AOC pionnière (éditions Libel, 2020)
  • Insurrections paysannes : de la terre à la rue : usages de la violence au XXe siècle (Vendémiaire, 2019)
  • Le beaufort : réinventer le fruit commun (éd. Libel, 2016)
  • Dans les fermes de notre enfance (Chêne, 2007)
  • Moissons rouges : les socialistes français et la société paysanne durant l'entre-deux-guerres (1918-1940) (Presses universitaires du septentrion, 2002)

Apolline Guillot, journaliste pour  Philosophie magazine et professeure agrégée de philosophie.

Références sonores

  • Montage de plusieurs reportages sur le mouvement social récent des agriculteurs.
  • Sandrine Rousseau sur France Info TV, 26/01/2024.
  • Intervention de Marine Tondelier France Bleu Bourgogne, 31/01/24.
  • Jean-Luc Mélenchon sur BFM TV, 28/01/2024.
  • Lecture par Riyad Cairat d'un extrait de Karl Marx, Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte (1852).
  • Titre du générique : Sabali d'Amadou et Mariam.

Le Pourquoi du comment, la chronique de Frédéric Worms

Retrouvez sa chronique ci-dessous.

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