Jean Malaurie : "Je suis passé de la pierre à l'homme, lentement, à mon pas"

L’ethnologue Jean Malaurie, spécialiste du Grand Nord, est décédé ce lundi 5 février 2024, a annoncé sa famille à l'AFP. À l'occasion de son centenaire l'an dernier, voici  une sélection spéciale des Nuits dédiée à collection Terre Humaine qu'il fonda et dirigea aux éditions Plon.

La vie de l’écrivain et explorateur Jean Malaurie se confond quasiment avec l’histoire de la collection qu’il a créée en 1954, Terre Humaine, chez Plon. La collection a été lancée véritablement l’année suivante en 1955 avec la publication de l’ouvrage majeur de Malaurie : Les Derniers rois de Thulé, un récit très libre de ses explorations dans le Nord-Ouest du Groenland au contact des populations Inuits.

Jean Malaurie à la recherche de tous les horizons du savoir

Cette expédition et ses nombreuses suites donneront lieu à d’autres ouvrages publiés les années suivantes, dont Hummocks, paru en deux volumes chez Terre Humaine en 1999. Au début de cet entretien, Jean Malaurie revenait sur sa formation : "J’ai été très choqué, dans ces classes de réflexion générale, par la volonté de nous faire réfléchir seulement autour de penseurs occidentaux, Hegel, Kant, Spinoza, Pascal, Descartes. Mais il est clair que quand on ouvre un atlas, le monde est plus vaste : il y a l'Afrique, il y a l'Asie, il y a le bouddhisme, etc. Je sentais que, quelque part, les dés étaient pipés. Il faut choisir sa vie, l'homme que je suis a construit sa vie et j'ai voulu commencer par le commencement comme dit Lewis Carroll, et suivre ce fil d'Ariane jusqu'au bout, j'ai donc choisi la géographie physique parce qu'elle vous ouvre tous les horizons."

A la recherche de la sagesse des peuples racines

Cette émission en forme de grande rétrospective sur son œuvre et sur sa vie est l’occasion de quelques réflexions sur l’état du monde et sur le rôle que peuvent et doivent y jouer les peuples premiers ou peuples racines, selon son expression. Sur ce sujet, les positions de Jean Malaurie sont bien connues : l’Occident aurait perdu sa sagesse et courrait à sa perte s’il continuait de s’en remettre aveuglément à la science.

Dans cette émission, l’auteur des Derniers rois de Thulé se dit d’ailleurs panthéiste, "le panthéisme, dit-il, est une pensée d’avenir. (...) Les peuples premiers sont nos égaux. Nous ne sommes pas du même monde et l'Occident va vers sa perte s'il continue à considérer que la science est synonyme de sagesse, nous n'avons plus de sagesse. On parle de la perte des valeurs. Pardonnez-moi, quelle est la valeur que j'entends sur toutes les radios ? C'est l'euro, c'est la rentabilité. Nous sommes entrés dans une société d'argent. (...) Mais en fait, nous n'avons plus aucune sagesse. L'Arctique, qui est un espace non seulement mythique, mais aussi mystique, est gravement pollué, il y a là tout même un signe, peut-être un signal. Je n'irai pas jusqu'à dire que l'apocalypse est pour demain, mais il serait peut-être temps d'y réfléchir.

Cette pensée a été inspirée à Malaurie par son contact avec les Inuits, avec leur système de pensée et leur sens du sacré, un sacré que les Inuits n’expriment pas en mots mais en actes. "Donc, vraiment, il y a deux mondes et cet autre monde, c'est le monde de la tradition. C'est ce qu'on appelle les peuples premiers, que de façon inspirée, mes camarades Russes appellent les peuples racines. Ces peuples racines sont liés à la nature, "Mère Nature". (...) Que ce soit les Inuits, que ce soit les Amérindiens, que ce soit les Aborigènes d'Australie, tous ont la conviction que rompre le lien qui nous unit avec la nature est folie."

• Par Olivier Germain-Thomas
• Réalisation : Olivier Coppin
• For intérieur - Jean Malaurie (1ère diffusion : 28/11/1999)
• Indexation web : Documentation sonore de Radio France
• Archive Ina-Radio France

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