Ta-Nehisi Coates : l’antiracisme, ou la lutte éternelle

Ta-Nehisi Coates le 7 juin 2023 à Atlanta, Géorgie ©AFP - CAROL LEE ROSE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA
Ta-Nehisi Coates le 7 juin 2023 à Atlanta, Géorgie ©AFP - CAROL LEE ROSE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA
Ta-Nehisi Coates le 7 juin 2023 à Atlanta, Géorgie ©AFP - CAROL LEE ROSE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA
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Alors que la candidature de Donald Trump inquiète une partie de l’Amérique d’un retour du conservatisme au pouvoir, la question des droits civiques revient sur le devant de la scène. Le journaliste et écrivain Ta-Nehisi Coates nous partage son expérience des inégalités raciales outre-Atlantique.

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L'armure de la peur

Dans son ouvrage Entre le monde et moi, réédité chez Autrement, Ta-Nehisi Coates décrypte sous la forme d’une lettre à son fils de 15 ans les ressorts d’un racisme structurel qui habite les États-Unis. Partant de ses souvenirs d’enfance, il se rappelle la manière dont son père l’a un jour sévèrement corrigé pour s’être égaré dans le parc municipal. Il lui avait alors dit : "si ce n’est pas moi qui te bats, ce sera la police". L’auteur interroge l’effet durable de ces mots dans un parallèle avec la condition afro-américaine : "ces menaces développent en vous une attitude extrêmement défensive face au reste du monde. Les Afro-Américains portent une sorte d'armure physique, quasiment visible. Elle agit comme un médiateur dans notre manière d’interagir avec les autres et avec le monde. Elle s'apparente souvent à une colère pour les regards extérieurs. Je crois que ces paroles de mon père m’ont effrayé. En grandissant, j’ai appris qu’il y avait effectivement de bonnes raisons d’avoir peur.”

L’autre, un creuset de l’identité

En décryptant les mécanismes de l’oppression raciale, Ta-Nehisi Coates cherche à comprendre la manière dont se forgent les identités collectives. Pour le journaliste et écrivain afro-américain, celles-ci naissent avant tout dans la relégation et l’exclusion. “Il est commun de penser que l'identité naît des vertus positives que nous portons. Pourtant, l’identité se construit presque tout autant à partir de ce que nous ne sommes pas. En Amérique, la blanchité est inséparable de la catégorisation raciale, de la désignation des autres, les Noirs notamment. Dans ce livre, j’ai aussi essayé d’illustrer ce principe d’identité dans la désignation de l’autre à travers d’autres catégories que la race. Je me rappelle la façon dont, avec les jeunes garçons de mon quartier, nous définissions notre masculinité en contraste avec ce que nous qualifions comme la féminité. Nous étions des hommes en rapport à ce que nous n’étions pas. Sur le même principe, notre hétérosexualité se construisait en lien avec ce que nous imaginions être gay.

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Le poids de l’histoire

En 2014, Ta-Nehisi Coates accède à la notoriété internationale grâce à un article paru dans le magazine américain The Atlantic, intitulé “Le dossier réparation” (The Case for Reparation). Créant un débat national qui va alors jusqu’au Congrès, il scrute la condition noire dans l’histoire américaine et la façon dont les crimes du passé font peser un devoir moral sur l’Amérique contemporaine qui se doit d’être réparé. “Les Afro-Américains sont présents sur le continent nord-américain depuis 1690, soit près de 350 ans. Pendant deux siècles et demi, nous étions en esclavage. Durant le siècle dernier, nous avons été placés en dehors de la société, réduits à des citoyens de deuxième classe. Nous avons obéi au contrat social, payé nos impôts, sans pour autant bénéficier des mêmes droits. Nous étions en dehors de la loi, les cibles du pillage. J’insiste d’ailleurs sur ce point parce que l'esclavage, au départ, reste une forme de vol. Pour autant, les spoliations ne se sont pas terminées avec la fin de l’esclavage et beaucoup de Noirs américains aujourd'hui ont grandi sous le système de Jim Crow. Celui de la ségrégation, du lynchage et de la violence d'État généralisée. L’ignorance et la négligence de ces faits inscrivent l’histoire américaine dans une forme de passivité face à ses propres agissements. L'oubli est un acte intentionnel qui résulte ici d’un effort pour laisser cette période hors du récit officiel.

L'Invité(e) des Matins
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