Stella Assange : "Il existe une crainte réelle et fondée que Julian Assange soit assassiné"

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Stella Assange : "Il existe une crainte réelle et fondée que Julian Assange soit assassiné"

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La femme de Julian Assange et ses soutiens seront une nouvelle fois, peut-être la dernière, devant un tribunal britannique
La femme de Julian Assange et ses soutiens seront une nouvelle fois, peut-être la dernière, devant un tribunal britannique
- Ryan Jenkinson

Stella Assange va accompagner son mari, Julian Assange, peut-être pour la dernière fois, devant un tribunal britannique. Le fondateur de WikiLeaks, incarcéré depuis 5 ans, redoute l'extradition vers les États-Unis où il risque 175 ans de prison. Ce serait une mise à mort selon Stella Assange.

Ce mardi et mercredi, la Haute Cour britannique examinera la recevabilité de l’ultime appel de Julian Assange au Royaume-Uni, pour empêcher son extradition vers les États-Unis, où il risque jusqu’à 175 années de prison pour "espionnage". A l'issue de l'audience, ou bien les juges de la Haute Cour autoriseront le fondateur de WikiLeaks à présenter son appel, ou bien ils le refuseront et il pourra alors être extradé vers les États-Unis. Dans ce cas, son épouse craint que Julian Assange ne soit envoyé aux autorités américaines dès la fin de la semaine.

La Haute Cour va donc entendre vos arguments pendant deux jours puis elle statuera. Ce pourrait être le dernier recours judiciaire sur le sol britannique dans l’affaire Assange. Etes-vous inquiète ?

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Ils peuvent prendre une décision contre Julian. Statistiquement, il s'agit de l'issue la plus probable et si ça se produit, Julian n'aura plus aucun recours. Au sein du système judiciaire britannique, ce sera la fin du processus. S'il devait gagner, il obtiendrait simplement l'autorisation de faire appel contre cette décision d'extradition vers les États-Unis. Pour le moment, la Haute Cour britannique a rejeté cette autorisation. On se retrouve donc dans une situation assez extraordinaire où cette affaire, ses implications pour la liberté de la presse, etc. ont suscité un énorme tollé. Mais la Haute Cour du Royaume-Uni ne veut tout simplement pas entendre ses arguments. Si les tribunaux fonctionnaient comme ils le doivent, il devrait être en mesure d'interjeter appel et il devrait avoir gain de cause. Mais il s’agit d’un règlement de comptes politique et pas d'une procédure judiciaire.

Même si la décision vous était défavorable, il vous resterait un recours, en dehors du Royaume Uni, devant la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH)…

Oui et Julian utilisera toutes les voies d'appel qui s'offrent à lui. La CEDH est la prochaine étape. Mais si Julian perd devant la justice britannique, la position du pays sera de prendre des mesures pour l'extrader. Le ministère de l'Intérieur prendra ou a déjà pris des dispositions, selon certaines informations, pour le déplacer rapidement. C'est donc un moment critique parce que nous savons que cela peut se produire très vite. Normalement, ce n'est pas le cas, mais nous savons que rien n’est normal dans cette affaire. Nous demanderons alors à la CEDH non seulement d'entendre son appel, mais aussi d'émettre ce que l'on appelle une ordonnance en vertu de l'article 39 demandant au Royaume-Uni de mettre fin à toute extradition en cours. Si le Royaume-Uni violait l'ordonnance de l'article 39, à supposer que la CEDH l'accorde, il violerait la Convention européenne des droits de l'homme. Mais la réalité politique au Royaume-Uni est très préoccupante.

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Vous dîtes que c’est une affaire politique. Il y a une élection présidentielle en Novembre aux États-Unis et des élections législatives prévues cette année au Royaume Uni. Avez-vous un espoir de ce côté-là selon les résultats ?

Je ne m'attends à rien mais oui, bien sûr, ces deux pays pourraient saisir cette opportunité pour laisser tomber cette affaire. C'est la position du gouvernement australien selon laquelle Julian devrait être libéré, que son maintien en détention ne sert à rien. En fait, c'est un signal très dangereux cette incarcération d'un éditeur pour avoir révélé des crimes de guerre. Le Royaume-Uni et les États-Unis jouent un jeu où les États-Unis disent « Nous essayons juste de l'extrader. » Et le Royaume-Uni dit : « Il n’est pas vraiment notre prisonnier puisque c’est au nom des États-Unis. » Ils sont donc dans une fiction où personne n'est responsable. Pendant ce temps, Julian est détenu dans la prison la plus sécurisée du Royaume-Uni. Je tiens à rappeler ce qu’il a fait : Il a révélé 15 000 victimes civiles non signalées en Irak, des crimes de guerre, des escadrons d'assassinat, etc. Des informations publiées par Le Monde, Der Spiegel, El Pais, etc. Il l’a fait pour informer le grand public et pour aucune autre raison. Il n’y avait pas de commanditaire. C’est donc le journalisme qui est attaqué.

Voilà bientôt 5 ans que Julian Assange est incarcéré à la prison de Belmarsh, réputée comme l’une des plus dures du pays. Il est placé à l’isolement. Vous avez régulièrement mis en avant sa fragilité, psychologique en particulier, pour demander qu’il ne soit pas extradé. Comment va-t-il aujourd’hui ?

Son état de santé se détériore au fil du temps. A Noël, il était malade et a demandé à voir un médecin. Trois jours se sont écoulés et toujours pas de médecin. Nous avons appelé l'ambassade d'Australie (NDLR Julian Assange est Australien) pour intervenir et là, enfin, il a été soigné. Mais vous savez, c'est la nature de cette prison de haute sécurité. Il n'est pas en lieu sûr. Je n’ai pas confiance. La réalité est que Julian est en danger chaque jour qu'il passe dans cette prison. A Noël, il avait de la fièvre, il toussait. Nous soupçonnons qu'il s'agissait de Covid mais il n'y a pas eu de tests de dépistage. Heureusement, il est guéri. Il est dans une cellule de deux mètres sur trois, seul, pendant plus de 21 heures par jour. Il y a un bouton d'urgence. Mais si vous n'êtes pas capable d’appuyer dessus, combien de temps faudra-t-il pour que quelqu’un vienne vous secourir. Julian, qui n'a rien fait de mal à part dénoncer des crimes de guerre, est en détention administrative, dans la prison la plus dure du Royaume-Uni depuis bientôt cinq ans. Il n'y a pas de justice ! Ça fait si longtemps qu'on lui en met plein la tête.

Dans quelles conditions pouvez-vous le voir ? Lui parler ?

Je le vois dans un hall d'accueil. C'est toujours dans le même espace. C'est une grande salle, avec environ 40 tables. Chaque table comprend un ensemble de 2 ou 3 chaises, des chaises bleues d'un côté et une chaise rouge de l'autre. Julian entre et s'assoit sur la chaise rouge. Et nous nous asseyons de l'autre côté. Je peux lui tenir la main, lui dire bonjour et au revoir. Les enfants peuvent s'asseoir sur ses genoux. Il peut leur faire la lecture mais il ne peut pas se déplacer. Il doit rester assis. Il y a une petite boutique où je peux acheter du café et une pomme ou une banane ou quelque chose comme ça. Nous nous réunissons donc deux fois par semaine, en moyenne, mais rien de fixe. Par exemple, la semaine dernière, il n'y a pas eu de visite. Si c'est un week-end, j'emmène les enfants et l’on passe environ une heure et quart ensemble. Le processus d'entrée et de sortie prend environ 45 minutes supplémentaires.

Stella Assange organise régulièrement des manifestations de soutien pour son mari. Ici, accompagnée de leurs deux enfants.
Stella Assange organise régulièrement des manifestations de soutien pour son mari. Ici, accompagnée de leurs deux enfants.
- Steve Eason

Comment vos enfants vivent-ils cette situation ? Ils n’ont aucun souvenir de leur père ailleurs qu’en prison…

Ils posent beaucoup de questions mais je ne leur parle pas de l'extradition, évidemment. Ça ne sert à rien de leur parler de cette perspective. Je leur dis que nous nous battons pour ramener Julian chez lui, qu'il rentrera chez lui un jour. Nous ne savons pas quand, mais bientôt, nous parlons de tout ce que nous ferons quand Julian rentrera à la maison. Ils lui parlent au téléphone tous les jours et lui parlent de ce qui s'est passé à l'école ou de ce qu'ils ont appris. Ils viennent d'apprendre à faire du vélo. Les deux. Le petit vient d’avoir cinq ans et le plus âgé a six ans et demi. Nous faisons en sorte d’être une famille et nous ne sommes pas seuls, il y a de très nombreuses personnes dans le monde qui se battent pour la même chose. Mes enfants le savent parce qu'ils sont venus à certaines manifestations et ils voient que Julian bénéficie d'un large soutien. Ils se posent beaucoup de questions : Pourquoi leur père ne peut-il pas rentrer à la maison avec nous lorsque nous allons lui rendre visite ? Quand va-t-il rentrer à la maison ? Ils savent aussi qu'une lutte est en cours.

Vous parlez de l’important soutien dont bénéficie votre mari. Trouvez-vous que la mobilisation est suffisante dans les médias en particulier ?

Les cinq journaux associés à Wikileaks ont publié une déclaration commune disant que Julian devait être libéré, que l'affaire était dangereuse, etc. Ça ne suffit pas. Ce sont des poursuites qui pourraient être intentées contre n'importe lequel de ces titres. Nous avons besoin d'une plus grande solidarité et pas seulement parce que ce sont des parties impliquées dans cette affaire. Julian risque 175 ans de prison pour avoir fait la même chose qu'eux. Il s'agit de poursuites sélectives qui peuvent ensuite être engagées non seulement contre eux pour cette publication mais contre n'importe qui d'autre, pour de futurs articles qui provoquent la colère des autorités. Il y a donc une responsabilité historique de lutter encore plus pour sa liberté. La question ici n'est pas de savoir si Julian est leur type de journaliste mais le fait que les États-Unis ont criminalisé cette activité, la même activité qu'eux. Je pense qu'il y a parfois un peu de snobisme. Je pense aussi qu'il y a de la jalousie parce que Wikileaks a eu un impact si important en tant que petit éditeur, basé sur Internet, etc. Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Les États-Unis ont franchi le Rubicon ! Ils mettent en danger les journalistes du monde entier. Julian est une affaire tellement médiatisée qu'il ne fait aucun doute que les publications étaient dans l'intérêt du public et c'est lui qui est utilisé comme exemple. Il devrait donc être utilisé comme exemple dans l'autre sens, par ses anciens partenaires. Ils sont impliqués dans cette affaire également. Ils sont en fait des co-conspirateurs. Selon l'acte d'accusation américain, ce sont des co-conspirateurs. Ils devraient donc resserrer les rangs et le faire sortir, au lieu de le laisser languir en prison un seul jour de plus. Je suis assez sévère avec eux parce que s’ils avaient mieux travaillé sur cette affaire, Julian n'aurait pas passé un seul jour en prison. S’il arrivait quelque chose de terrible, s'il mourait en prison, ils auraient également du sang sur les mains.

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Lors que vous dîtes que vous craignez pour sa santé, vous parlez de sa santé mentale en particulier. Devant les tribunaux, lors des précédentes audiences, vous avez mis en avant le risque qu’il se fasse lui-même du mal.

Les psychiatres qui ont examiné Julian en prison, et ils l'ont examiné, pendant une longue période, sont tous parvenus à la même conclusion, à savoir qu'il risquait de s'automutiler, de se suicider. L'élément déclencheur ce serait l'isolement et les États-Unis le placeraient sans aucun doute à l’isolement. La conclusion initiale du juge était qu'il serait poussé à se suicider. Il existe également une crainte bien réelle et fondée qu'il soit assassiné. Ce n’est pas un délire personnel. Mais selon certaines informations, Mike Pompeo, alors qu'il était à la tête de la CIA, faisait et demandait des propositions concrètes sur la manière d'assassiner Julian. Cette possibilité a déjà été sur la table et il est beaucoup plus facile d'assassiner quelqu'un sur son propre sol. Ce sont les agences nationales de renseignement qui donnent des recommandations quant à savoir si une personne doit être isolée ou non. Il ne fait donc aucun doute dans mon esprit qu'ils utiliseront leurs pouvoirs, qu'ils n'ont pas à divulguer aux autres parties ou au tribunal, pour le placer à l’isolement. En sachant très bien les risques pour lui.

Quelle est votre vie aujourd’hui ? Vous avez épousé Julian Assange en 2022 en prison. Le combat pour sa libération occupe toute votre vie et vous devez élever vos deux enfants. Hier soir encore, vous étiez à l’université de Warwick pour une conférence…

Il y avait beaucoup de monde et je suis reconnaissante car ça signifie que Julian suscite beaucoup d'intérêt et d'inquiétude. Ce type de manifestations de solidarité, c’est très important. Les groupes de défense de la liberté de la presse tels que la Fédération internationale des journalistes et Reporters sans frontières font campagne pour la libération de Julian. Pour inverser la tendance, vous avez besoin de soutien et d'énergie et évidemment, en tant qu'épouse de Julian, je suis là, c'est à moi qu’il incombe de parler au plus grand nombre et dire également aux gens que c’est un être humain, pas seulement un symbole ou une personne publique. C'est quelqu'un qui souffre réellement, profondément, depuis le début de cette épreuve.