Violences sexistes et sexuelles : sommes-nous à l'aube d'une révolution juridique et judiciaire ?

Des militantes Femen durant une manifestation suite au renvoi d'une affaire de viol à la chambre d'instruction, à Versailles, le 24 septembre 2020 ©AFP - Christophe Archambault
Des militantes Femen durant une manifestation suite au renvoi d'une affaire de viol à la chambre d'instruction, à Versailles, le 24 septembre 2020 ©AFP - Christophe Archambault
Des militantes Femen durant une manifestation suite au renvoi d'une affaire de viol à la chambre d'instruction, à Versailles, le 24 septembre 2020 ©AFP - Christophe Archambault
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Plus de six ans après MeToo, les prises de parole publiques des femmes victimes de violences continuent d'ébranler la société. Face à ce problème structurel, se pose la question de la réponse pénale. Comment faire en sorte que la justice évolue pour traiter spécifiquement de ces sujets ?

Avec
  • Isabelle Lonvis-Rome Magistrate, ancienne ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances
  • Gwenola Joly-Coz Magistrate, Première présidente de la Cour d’appel de Poitiers
  • Karine Bourdié Avocate, présidente de l’Association des avocats pénalistes

Après les pétitions et contre pétitions envers Gérard Depardieu en fin d’année, les plaintes et les déclarations de Judith Godrèche à propos des cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon ont ouvert une nouvelle phase dans le mouvement #MeToo.

Les prises de parole publiques de victimes de crimes sexistes et sexuels se multiplient, mais qu’en est-il, depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019, de la prise en compte policière et judiciaire de leur parole et plus encore de la mise en œuvre juridique de nouvelles définitions de ces crimes. Comment qualifier juridiquement le féminicide, le contrôle coercitif ? Qu’est-ce que le psychotrauma ou l’amnésie dissociative ? Le "surmeurtre", tel que défini par la psychiatrie, aggrave-t-il -et en quoi- le meurtre de femmes ?

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Car avancent ensemble la découverte de ces crimes auparavant négligés, la définition des contours qui les caractérisent et la nécessité de les traduire en droit.

Les répercussions des évolutions sociétales dans la justice

Gwenola Joly-Coz : « Moi, ce que je trouve intéressant, c'est la dialectique qui s'est mise en place au cours de ces dernières années entre la société et la justice. Effectivement, la société demande beaucoup à la justice. Mais je trouve que les deux se sont plutôt accordées au fil de ces dernières années. C'est-à-dire que la justice a avancé avec la société, que la société regarde ce que fait la justice, ne fait pas que la critiquer, reconnaît aussi ce qu'elle met en place. Et c'est pour ça que je reviens à la question de la formation. Plus nous serons formés ensemble au même sujet, mieux nous comprendrons ensemble ce phénomène pour avoir un langage commun » (…) La première présidente de la Cour d’appel de Poitiers, rappelle notamment le poids de la sémantique dans cette prise en compte des violences sexistes et sexuelles : « Il y a dix ans, nous ne connaissions pas le phénomène de la même façon. Nous manquions même de mots. Par exemple, la notion de mémoire dissociative, ça a tout changé. L'idée que 20 ans ou 30 ans plus tard, on pouvait venir nous parler d'une infraction nous a amené à réfléchir différemment à la prescription ».

Isabelle Rome : « En effet, ce qui est intéressant de voir, c'est qu'on colle vraiment à l'évolution des mœurs. Et que, à titre d’exemple, on n'emploie plus aujourd'hui le terme de crime passionnel. On ne dit plus qu'on tue par amour. Si on tue l'autre, ce n'est pas qu'on l'aime, c'est parce qu'il nous échappe. Et donc, on voit bien que là, on a beaucoup évolué. Et en ce sens-là, bien sûr, on peut dire que la justice, mais aussi la société toute entière, ont vraiment pris conscience de la gravité de ces faits ». Concernant la sémantique, l’ancienne ministre aborde la question du contrôle coercitif : « Cette notion renvoie à un scénario qui est observé lorsque l’on traite des féminicides. Ce dernier se caractérise par l’exercice d’un pouvoir manipulateur dans le but de contrôler, cela passe notamment par une dévalorisation de la femme par le conjoint, un isolement, du harcèlement. Je pense qu’il est donc crucial de le définir, et de l’inscrire dans la loi pour que les juges puissent qualifier cette violence lorsqu'elle est invisible ».

Pour Karine Bourdié la prise en compte de ces violences par la justice ne doit pas forcément se traduire par la mise en place de nouvelles lois: « Je trouve ces nouveaux concepts très intéressants. Cela dit mon opinion, pour cette question-là, c'est quand même que le juge français est extrêmement bien outillé aujourd'hui avec le code pénal qui permet de recouvrir toutes les situations. Ainsi, de mon point de vue, il n’y a pas besoin de nouvelles lois. C'est-à-dire qu'on a déjà tout l'arsenal des violences qui peut être recouvert, que ce soit les violences physiques, les violences psychologiques, les violences économiques, tout ça est prévu par le Code pénal. Cette idée d'empilement systématique, continu, infini et indéfini de lois les unes sur les autres n’est selon moi pas ce qu’il faut mettre en place ».

Affaires culturelles
57 min

Pour aller plus loin :

- Isabelle Rome est l'autrice du livre  La fin de l'impunité (Editions Stock, 2024)

- Le rapport 2023 de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles (CIVIISE) est à retrouver ici :  Le rapport public de la CIIVISE

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