Manouchian au Panthéon : Missak, Thomas, Maurice et les autres

Image d'archives issue du documentaire "Des terroristes à la retraite" (1985) de Mosco Levi-Boucault - Arte
Image d'archives issue du documentaire "Des terroristes à la retraite" (1985) de Mosco Levi-Boucault - Arte
Image d'archives issue du documentaire "Des terroristes à la retraite" (1985) de Mosco Levi-Boucault - Arte
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Missak et Mélinée Manouchian vont être accueillis au Panthéon et auprès d’eux sera installée une plaque commémorative au nom de leurs camarades fusillés au Mont Valérien. C’est d’eux dont nous allons vous parler ce matin, car s’il y a eu Manouchian, il y a aussi eu Thomas, Raymond et bien d’autres.

Avec
  • Mosco Boucault Réalisateur
  • Ruth Zylberman Écrivaine et réalisatrice
  • Thomas Stern Philosophe
  • Charlotte Lazimi Petite-fille de Raymond Kojitsky, membre des FTP-MOI et du groupe Manouchian

Il y a 80 ans, le 21 février 1944, Missak Manouchian, poète arménien, était exécuté avec 22 autres résistants à la forteresse du Mont-Valérien. Il est cependant le seul d'entre eux à entrer ce mercredi 21 février au Panthéon. Qui étaient ses camarades oubliés ?

58 min

Des étrangers au service de la France

Dans un premier documentaire diffusé en 1985 et aujourd'hui  disponible sur Arte, le réalisateur Mosco Lévi-Boucaud racontait l'histoire de sept résistants polonais et arméniens, membres survivants des FTP-MOI. "Les MOI, cela signifiait main d'œuvre immigrée, au sein du Parti communiste. Le Parti a trouvé dans ce vivier des combattants très jeunes : Raymond Kojitski, 17 ans, Marcel Rajman, 18 ans, Spartaco Fontanot, 19 ans… La résistance armée avait été initiée par un homme qui s'appelait Boris Holban, pendant que Missak Manouchian s'occupait d'organiser les sections d'étrangers pour accueillir les immigrés qui ne parlaient pas forcément le français, en particulier des Arméniens. Il a pris la place de Holban, en 1943, après la mutation de ce dernier."

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Ruth Zylberman, écrivaine et réalisatrice qui a travaillé avec Mosco Lévi-Boucaud au second film sur le sujet, découvre le documentaire à l'âge de 13-14 ans. Elle est immédiatement touchée par les différents témoignages : "tous ces résistants, ils avaient un accent. Cet accent, pour moi, c'était l'accent de mes grands-mères, il y a donc tout de suite eu une familiarité avec les gens que j'entendais à la télévision. À partir de ce film, j'ai été captivée par cette histoire. J'ai commencé à lire plein de bouquins, je suis entrée en résistance imaginaire, même si je n'avais alors absolument pas conscience des enjeux historiques et politiques."

La présence de l'extrême-droite à la cérémonie

"Je la perçois très mal, indique Ruth Zylberman. Nous avons la mémoire longue, et en ces temps de glissements idéologiques, de confusions, il faut se souvenir. J'aimerais que Marine Le Pen récite 23 fois le vers de Louis Aragon célébrant les membres de l'Affiche Rouge : vingt et trois étrangers et nos frères pourtant."

Mosco Lévi-Boucaud se montre toutefois plus nuancé : "j'opte pour le point de vue de Serge Klarsfeld. Je me moque de Marine Le Pen, je ne voterai jamais pour elle. Mais si ses militants racistes, xénophobes et antisémites la voient assister à cet hommage qui ferait retourner Pétain dans sa tombe, je trouve ça bien, que ce soit opportuniste ou sincère."

Charlotte Lazimi, petite-fille de Raymond Kojitski, rappelle quant à elle que l'extrême-droite est historiquement contre les Juifs : "il y a beaucoup de mensonges qui sont diffusés par le parti de Marine Le Pen ou par Eric Zemmour. Vichy n'a ainsi jamais protégé les Juifs français. Si mon grand-père était encore vivant, je pense qu'il hurlerait de dépit. L'extrême-droite a toujours été l'ennemi."

Ecoutez ici une sélection de discours prononcés lors de l'entrée au Panthéon : Les Discours du Panthéon
Les discours du Panthéon - carré

Transmettre son combat

Mort en 2016, Raymond Kojitski était entré à 17 ans dans la Résistance. Très proche de ses descendants après que toute sa famille ait été déportée, il a maintes fois raconté son histoire à Charlotte Lazimi, sa petite-fille : "il nous a raconté tous ses faits d'armes et comment est-ce qu'il a échappé à la mort. Mais il nous a surtout transmis une forme de résilience, une capacité à dire non. Il avait aussi une tristesse, une douleur énorme, avec l'angoisse que tout peut recommencer. Je pense que mon grand-père et toutes les personnes de l'affiche rouge représentent le meilleur de l'humanité face à ce que le pire peut produire."

Même son de cloche pour Thomas Stern, neveu de Thomas Elek, membre des FTP-MOI et du groupe Manouchian. Il retrace le parcours de son oncle : "ses parents étaient juifs hongrois d'obédience communiste. Ils ont quitté la Hongrie au moment de l'écrasement de la révolution hongroise et de la mise en place du pouvoir de l'amiral Horthy. Thomas s'engage donc très vite. À 16 ans, il roue de coups quelqu'un qui l'insulte de juif et de métèque, puis il prépare un attentat dans une librairie de l'extrême-droite française."

Mort fusillé au Mont-Valérien, le combat de cet oncle héroïque est toutefois peu reconnu selon lui. "Une sorte de meute funèbre est constitutive de ma famille face à ce deuil et face au peu de reconnaissance qu'a obtenu dans l'histoire officielle la résistance communiste. J'ai porté les larmes de ma grand-mère, et j'ai porté la figure fantomatique et héroïque de ce personnage pour lequel j'ai une admiration illimitée. Il appartient à cette escorte de combattants juifs qui, de Paris, Lyon, Toulouse et aussi du ghetto de Varsovie, ont dit aux Allemands 'tu veux ma peau ? Viens la chercher'."

Références

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