Partant du principe que seul le mâle chante pour séduire sa partenaire, les scientifiques ont délaissé pendant des années l'étude des femelles. Mais si cela est vrai pour certaines espèces, comme le merle, des études récentes prouvent que dans la majorité des cas, les femelles chantent aussi.
À votre avis, chez les oiseaux, c’est le mâle ou la femelle qui chante ? Si vous avez répondu le mâle, vous avez faux, mais ce n’est pas votre faute, c’est celle de Charles Darwin, le naturaliste. Clémentine Vignal, professeure de biologie et d’écologie à Sorbonne Université nous explique comment la théorie darwinienne a influencé les chercheurs au point de sous-estimer l'étude de la moitié du monde animal : les femelles.
Une théorie avec de très nombreuses exceptions
Clémentine Vignal nous rappelle la théorie darwinienne : " Darwin propose que les mâles sont ceux qui vont porter les ornements ou les armements qui vont favoriser leur accès aux partenaires sexuels et que les femelles, elles, sont plus dans une position de choisir les partenaires, et donc sont plus passives, moins sujettes à la sélection sexuelle que les mâles."
Cette théorie est renforcée au XXe siècle par les travaux d'Angus John Bateman. Il estime que si les mâles ont une stratégie de reproduction plus compétitive que celle des femelles, c’est parce qu’ils produisent plus de gamètes, c’est-à-dire des spermatozoïdes. "Les gamètes, petits, produits en grand nombre, de manière quasi illimitée, détaille la biologiste, vont permettre d’avoir une stratégie de recherche du maximum de partenaires sexuels."
Une théorie bien pratique pour expliquer les différences de comportement et le dimorphisme sexuel, comme la queue du paon, atout séduction du mâle, ou les bois du cerf, utiles au combat pour s'imposer comme mâle dominant et avoir accès à plus de partenaires.
C'est ainsi que le mâle, dans une logique de séduction ou de compétition, aurait développé certaines caractéristiques. Sauf qu’il y a de très nombreuses espèces qui n'entrent pas dans ces cases d'après Clémentine Vignal : "il existe des situations où ce sont les femelles qui sont en compétition les unes avec les autres, soit pour accéder aux mâles comme chez les hyènes tachetées ou les phalaropes, soit pour accéder aux ressources par exemple chez les chimpanzés ou les chiens de prairie. On peut avoir des situations où ce sont les femelles qui sont en charge de la compétition et du coup les mâles en charge de la descendance, c'est le cas des émeus, des leipoias, des hippocampes, etc. On peut avoir des situations où mâles et femelles partagent ces caractéristiques, comme chez le lion, le rouge-gorge ou le mérion superbe, entre autres."
Des femelles peu étudiées en biologie
Et la liste est longue, mais incomplète parce que depuis des siècles, on étudie peu les comportements des femelles. Chez les oiseaux, par exemple, on est longtemps parti du principe que c’est le mâle qui chante pour séduire sa partenaire, mais la biologiste précise : "c’est une observation qui est juste chez le merle, par exemple, c'est effectivement le mâle qui chante et pas la femelle. Mais simplement, ça nous a fait aller un peu vite sur l’observation d’autres espèces. Comme chez les mésanges, les femelles chantent, un peu moins, de manière plus discrète, et ce comportement a été quasi occulté. Chez le rouge-gorge, qui est une espèce très commune, les mâles et les femelles chantent et on ne sait quasiment rien sur le chant des femelles."
En réalité, si on regarde à l’échelle de la planète, chez la majorité des espèces d’oiseaux — dont la plupart se trouvent dans des zones intertropicales comme la forêt amazonienne — mâles et femelles chantent.
"On est restés un petit peu bloqués dans cette explication unique, à mon sens, à cause de biais situés. C’est-à-dire que cette théorie, elle est confortable, parce qu’elle renforce nos biais genrés, en fait. Elle correspond assez bien à ce qu’on attend du féminin et du masculin dans nos sociétés humaines" analyse la professeure.
Références