Deux ans de guerre en Ukraine : le conflit à hauteur d’âmes

Un militaire ukrainien monte la garde près d'un entrepôt en feu touché par un obus russe dans la banlieue de la capitale Kiev, le 24 mars 2022. ©AFP - FADEL SENNA
Un militaire ukrainien monte la garde près d'un entrepôt en feu touché par un obus russe dans la banlieue de la capitale Kiev, le 24 mars 2022. ©AFP - FADEL SENNA
Un militaire ukrainien monte la garde près d'un entrepôt en feu touché par un obus russe dans la banlieue de la capitale Kiev, le 24 mars 2022. ©AFP - FADEL SENNA
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Ils s’appellent Vitalia, Alisa, ou encore Aleysia, ils sont restés en Ukraine quand la guerre a éclaté, parfois, ils ont hésité, mais tous se sont engagés. Voici un mystère que Romain Huët a essayé de percer en se rendant sur le terrain de la guerre. Pourquoi s’engage-t-on ?

Avec
  • Romain Huet Maître de conférences en sciences de la communication à l’Université Rennes 2
  • Ella Yevtouchenko Autrice de Au cœur de la maison, co-éditrice de l’anthologie Ukraine – 24 poètes pour un pays

Il y a deux ans, la Russie lançait son invasion contre l'Ukraine et dès le premier jour les Ukrainiens ont répondu. Pour comprendre cet engagement, Les Matins reçoivent Romain Huët qui propose un essai d'ethnologie La guerre en tête, sur le front de la Syrie à l’Ukraine (PUF janvier 2024) et la poétesse ukrainienne Ella Yevtouchenko, autrice de Au cœur de la maison (Bruno Doucey, 2023).

Un engagement immédiat

Lorsque la guerre éclate en Ukraine, Romain Huët décide de partir : "J’avais commencé un premier travail en Syrie où je m’étais posé la question suivante : comment est-ce qu’un individu ordinaire accepte de prendre les armes, de tuer et de mourir, pour des raisons politiques ? En Ukraine, j’ai été saisi par l’histoire qui est en train de se passer sous nos yeux. En 2014, j’étais allé sur la place Maïdan pendant la révolution, j’avais donc envie de voir comment se passait la mobilisation populaire des Ukrainiens. Dans les premiers jours, ils étaient débordés par le nombre de volontaires."

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"Quand le monde s’impose à nous, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on tourne le dos à l’histoire ou est-ce qu’on répond ? Il y a des gens qui ont fui, d’autres ont commencé à partir, mais ont fait demi-tour et se sont portés volontaires. Je me souviens d’un jeune homme parti avec sa famille à Lviv dans l’ouest, mais il n’a pas supporté ce qu’il se passait et il est retourné à Kiev alors que les Russes arrivaient."

Cultures Monde
58 min

La ferveur populaire, deux ans plus tard

Ella Yevtouchenko vit à Kiev. En 2022, elle décide de rester : "Je me souviens de ces premiers jours et il y avait beaucoup d’émotions positives. Il y avait l’horreur, le choc, mais aussi une forme d’euphorie : l’Ukraine a tenu. Le pays entier a senti cette unité et cette émotion forte a persisté depuis. Je crois que les gens avaient des motivations très différentes. Pour beaucoup, il s’agissait de défendre leurs proches, mais aussi la liberté. Quand la Russie vient nous envahir, c’est pour nous priver de notre liberté."

Deux plus tard, Romain Huët observe les effets du temps sur l'engagement populaire : "Il y a un nouveau quotidien qui s’est mis en place. La ferveur de départ, quand elle n’a pas d’horizons certains, peut provoquer des effets de fatigue. Même la solidarité qu’on a connue au début de la guerre, peut être traversée par des retours de replis sur soi un peu plus égoïstes. Il faut aussi penser à soi, parvenir à reconstruire sa vie."

Guerre en Ukraine, le podcast
30 min

Le poète Taras Chevtchenko, figure de résistance

Taras Chevtchenko (1814-1861) est un poète national ukrainien.  Ella Yevtouchenko le présente : "Il est né, asservi, a été libéré et est devenu peintre, académicien et poète. Il était reçu à Saint-Pétersbourg, avait une vie confortable, pourtant il a choisi d'écrire en ukrainien et ça lui a couté dix ans d'exil." La poétesse fait une lecture d'un de ses poèmes les plus célèbres.

Testament (1845)
Quand je mourrai, enterrez-moi
Dans une tombe au milieu de la steppe
De ma chère Ukraine,
De façon que je puisse voir l’étendue des champs,
Le Dniéper et ses rochers,
Que je puisse entendre
Son mugissement puissant.

Et quand il emportera de l’Ukraine
Vers la mer bleue
Le sang des ennemis, alors
Je quitterai les prairies et les montagnes
Et m’envolerai
Vers Dieu lui-même
Pour lui offrir mes prières.
Mais jusque-là
Je ne connais pas de Dieu !

Enterrez-moi et debout !
Brisez vos fers,
Et arrosez du sang impur des ennemis
La liberté !
Puis, dans la grande famille,
La famille nouvelle et libre,
N’oubliez pas d’accorder à ma mémoire
Une bonne parole !

Pour aller plus loin : "Comment la guerre change la morale de ceux qui la font ?" Rencontre avec Romain Huët au MK2 Bibliothèque (Paris) le jeudi 29 février 2024.

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