Annie Ernaux, prix Nobel de littérature : "Tout tombe à l'oubli, l'écriture sauve ce qu'on ne reverra pas"

Annie Ernaux - ©Marguerite Bornhauser
Annie Ernaux - ©Marguerite Bornhauser
Annie Ernaux - ©Marguerite Bornhauser
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Autrice prolifique et centrale du genre autobiographique, Annie Ernaux ne cesse tout au long de son œuvre de porter son regard sur les anonymes, les petits riens du quotidien, ce qui naît d'images captées ici et là, dans la rue ou les transports. Que nous dit son regard du monde extérieur ?

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Annie Ernaux est écrivaine, elle a été professeure de lettres et elle s'est vue décerner le prix Nobel de littérature en décembre 2022. En ouverture de son livre Les Années, on peut lire : "toutes les images disparaîtront". Aujourd'hui pourtant, il sera question d'images, de clichés, d'instantanés, de captures, à l'occasion d'une exposition qui lui est consacrée à la Maison Européenne de la Photographie, une manière de savoir si, vraiment, toutes les images disparaîtront.

Le travail de l'autrice est mis à l'honneur dans l'exposition Extérieurs : Annie Ernaux & la photographie du 28 février au 26 mai 2024 à la Maison Européenne de la photographie à Paris, dans laquelle la commissaire d’exposition Lou Stoppard a recherché dans les collections de la MEP des photos faisant écho au travail de l’autrice dans son ouvrage Journal du dehors paru en 1993.

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À l’occasion de cette exposition, un catalogue est publié en français et en anglais aux éditions MACL en partenariat avec la MEP.

Le dehors, terrain de l'anonymat

Le dehors, les trajets en RER, les passages chez le boucher ou le coiffeur sont l'occasion pour Annie Ernaux de saisir le réel au travers de la matière donnée par les "anonymes", ceux dont elle croise le chemin au hasard d'un itinéraire : "je pars de la sensation de la rencontre d'anonymes pour écrire. Le dehors m'offre ce que je ne trouverai pas dans la réflexion". Alors, pourquoi écrire sur des anonymes ? "Pour être plus proche des gens ? Non, pour leur rendre justice".

Dans l'écriture de son Journal du dehors, elle a avant tout souhaité garder une forme de spontanéité, comme on saisirait par l'image un instant : "l'anonymat était la condition de l'écriture dans mon journal du dehors. Ce qui était nouveau avec mon travail, c'était de dire que le réel immédiat était sujet d'écriture".

La Suite dans les idées
48 min
"La femme aux gants", une photographie de Dolorès Marat et affiche de l'exposition "Extérieurs : Annie Ernaux et la photographie" à la MEP.
"La femme aux gants", une photographie de Dolorès Marat et affiche de l'exposition "Extérieurs : Annie Ernaux et la photographie" à la MEP.
- MEP Collection, Paris. Acquired in 2001 © Dolorès Marat

La jouissance de l'image

Dans son écriture, Annie Ernaux parle de ceux dont on ne parle pas, de sujets parfois qualifiés d'indignes. A l'image de photographies que l'on prend pour se souvenir, elle fige son écriture dans une forme très visuelle : "je pense qu'il y a une idée de jouissance de la photo, même si elle est voilée d'idées de mort. Il y a un plaisir, quelque chose d'un peu secret, parce que c'est difficile de partager une photo avec quelqu'un".

Si partager des images lui semble difficile, elle nous en délivre une grande partie dans le film Les Années Super 8 qu'elle a réalisé avec son fils David Ernaux en 2022. Mais chez l'autrice, il y a toujours une part de collectif qui surplombe le personnel : "ces images sont comme une sorte de dictionnaire. Et dans mes livres, mon travail est transpersonnel, c'est-à-dire à partir de moi, mais pas sur moi".

Extraits sonores :

  • Archive de la photographe Dolorès Marat, le 1er juin 2019 à la galerie Lasécu
  • Archive de Roland Barthes sur France Culture en 1977
  • Extrait du film Les Années Super 8 (2022) réalisé par David Ernaux avec Annie Ernaux
  • Chanson de fin : Regardez cette terre de The Guardians

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