Qu'est-ce que la poésie nous dit du monde d'aujourd'hui ?

Arthur Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest ©Maxppp - Vincent Mouchel
Arthur Rimbaud par Ernest Pignon-Ernest ©Maxppp - Vincent Mouchel
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Le 9 mars a débuté le Printemps des poètes, l’occasion de se demander de quoi est faite la poésie d’aujourd’hui. Alors que des sujets nouveaux portés par des voix nouvelles ont récemment fait effraction dans le champ poétique, quels liens le poème entretient-il avec les débats de notre société ?

Avec
  • Aurélie Olivier Poétesse
  • Pierre Vinclair Poète, romancier et directeur de la revue Catastrophes
  • Joëlle Sambi Poétesse

Samedi a commencé dans toute la France le Printemps des poètes dont finalement on parle beaucoup moins que lorsque s’est déclenchée, il y a un mois et demi, la polémique sur le parrainage de cette manifestation annuelle par Sylvain Tesson.

Or, la poésie qui s’écrit et se dit aujourd’hui est bien plus riche et variée qu’elle ne l’était il y a deux décennies. Sans être aussi populaire que celle qui se développe et se renouvelle aux Etats-Unis, elle embrasse écologie et antiracisme, violences sexistes et sexuelles et combat LGBTQI+, marie performance scénique et édition. Elle n’est pas seulement un pur exercice formel mais engage le corps du poète et de la poétesse pleinement dans le corps social.

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À écouter : Poésie et jouissance
Poésie et ainsi de suite
59 min

Qu'est-ce qui définit la poésie contemporaine ?

Joëlle Sambi : « Je crois que quand on écrit de la poésie, à partir du moment où les mots sont couchés et sont partagés, ils ne nous appartiennent plus. Et quand moi, j'écris un poème, mon but n'est pas tant de faire slogan ou de rassembler autour d'une cause, mais bien de pointer, de raconter, de laisser une trace, justement, de montrer qu'il y a d'autres mots, d'autres vécus, d'autres façons de concevoir le monde, de le nommer, de le décrire »

Extrait du recueil « et vos corps seront caillassés » de Joëlle Sambi

« Depuis l'arrière des remparts, dehors, hors les murs, extra muros, ex cathédra, depuis le bruit des parcelles, depuis le bled, on rampe, on danse, on souque à faire blêmir le soleil.

Mais alors devine ma colère !

Devine ma colère, ma rage même éteinte ou tamisée.

Joue les notaires, joue les huissiers et compte chaque frère, chaque sœur noyée.

Et si nos noms sont des tourbillons, pour chaque vie mal nourrie, pour chaque vie maltraitée, nous serons la nuit noire de vos culpabilités absentes ».

Aurélie Olivier : « Je crois que la poésie qui me touche le plus, c'est celle qui, depuis la colère, c'est une colère qui n'arrive pas à être entendue et qui réalise ce miracle-là d'aller au-delà du cri et de toucher de manière bien plus profonde que ne toucherait seulement un cri et bien plus longue ». (..) « Ce qui m'intéresse, c'est toutes les langues, et peut-être encore plus celles qui sont considérées comme pas intéressantes, ignobles y compris la publicité, parce qu'en fait, on est fabriqués par ces langues, donc ça m'intéresse de les interroger ».

Extrait du recueil, « Mon corps de ferme » d’Aurélie Olivier

« Mélanome, lymphome, leucémie, tumeur du système nerveux central, cancer de la prostate.

Il y a des risques accrus de développer certaines maladies au sein des exploitations familiales.

Au fur et à mesure des années, je choisis sans choisir de partir pour mettre fin aux malédictions qui se répètent de génération en génération.

Longtemps, je crois à l'efficacité de l'écran total.

Longtemps, je crois à l'illusion de l'exact opposé.

Longtemps, je dégénère ».

Pierre Vinclair : « Je pense aussi que le poème, il doit être aux prises avec la réalité, y compris dans ce qu'elle a de plus bouleversante et tragique. Simplement, je pense que le fait que certains mots soient galvaudés ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des nouvelles configurations poétiques qui nous permettraient de les réintégrer et de les faire revivre, de réanimer ces mots ».

Extrait de la poésie « L'amour du Rhône, Désir de fleuve pour mon vue du train », issu du recueil L'éducation géographique, de Pierre Vinclair

« Elle lui rend émue par nuages de pluie la chair de poule piquant le reflet bleu de leur romance doucement.

Longtemps, il se découvre, peau liquide se cherche, se réclame, peau dure s'embarrasse, varie de position sous l'œil gras du soleil, du ciel gris et s'embrasse, embrasse, l'oubli de tout ce qui les mène.

Où ça ?

Le néon intérieur ne réfléchit plus sur ma vitre que l'arc-en-ciel d'une interrogation.

De quel point de vue la montagne croit-elle dominer le Rhône puissant ?

Fiction des mots d'amour, le fleuve en se laissant aller à creuser la forme des lieux, pour qu'elle l'admire, se cambre à son passage, qu'elle le rive au clou de leur désir, clémence de ce désir, désir de ce désir qui nous fait être ».

Pour aller plus loin :

- Aurélie Olivier est l'autrice du recueil " Mon corps de ferme" (Editions du commun, 2023)

-Joëlle Sambi est l'autrice du recueil " et vos corps seront caillasses" (Editions de l'Arche, 2024)

-Pierre Vinclair est notamment l'auteur de " L'Éducation géographique" (Editions Flammarion, 2022) et de "  La Sauvagerie" (Editions Corti, 2020)

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