La justice internationale fait-elle peur aux dirigeants ?

La Cour internationale de justice avant l'annonce du verdict dans l'affaire de génocide contre Israël, intentée par l'Afrique du Sud, à La Haye, en janvier 2024 ©AFP - Remko de Waal
La Cour internationale de justice avant l'annonce du verdict dans l'affaire de génocide contre Israël, intentée par l'Afrique du Sud, à La Haye, en janvier 2024 ©AFP - Remko de Waal
La Cour internationale de justice avant l'annonce du verdict dans l'affaire de génocide contre Israël, intentée par l'Afrique du Sud, à La Haye, en janvier 2024 ©AFP - Remko de Waal
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Avec l’invasion russe en Ukraine et la guerre Israël-Hamas, la Cour internationale de Justice a été saisie à plusieurs reprises. Qu'est-ce que peut et ne peut pas la justice internationale face aux conflits ?

Avec
  • Reed Brody Avocat, ancien procureur américain spécialisé dans les crimes de guerre
  • Mathilde Philip-Gay Professeure de droit public à l'université Lyon 3, déléguée générale de la Chaire lyonnaise des droits humains et environnementaux
  • Michel Duclos Conseiller spécial géopolitique et diplomatie à l’Institut Montaigne, ancien ambassadeur de France auprès de Nations Unies

La guerre en Ukraine a, selon de nombreux juristes, provoqué un regain de la justice internationale, conduisant la Cour pénale internationale, après avoir lancé des poursuites contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, à poursuivre deux officiers supérieurs russes.

De son côté, le Nicaragua a accusé l’Allemagne, devant la Cour internationale de Justice, plus haute juridiction de l’ONU, de manquer aux obligations découlant de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en raison de son soutien à Israël.

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Cour pénale internationale, Cour internationale de Justice, juridiction Adhoc : depuis les poursuites contre le général Pinochet ou la condamnation de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, nombre d’actions de dirigeants sont désormais sous le regard des juges.

Mais cette justice est souvent récusée par les dirigeants qu’elle poursuit.

Quel poids a la justice internationale ?

Reed Brody revient sur les différentes Cours de la justice internationale : « La cour pénale internationale qui a été créée il y a 20 ans juge les individus pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crimes de génocide et potentiellement crimes d'agression, quand les juridictions nationales ne peuvent pas ou ne veulent pas. Mais j'ajoute qu'en 20 ans d'existence et au coût de plus de 2 milliards d'euros, la Cour pénale internationale n'a jamais réussi à avoir la condamnation ferme d'aucun acteur étatique, où que ce soit dans le monde. Aussi, la Cour internationale de Justice, que personne ne connaissait il y a quelques mois, est l'autre Cour des Nations Unies qui règle les différends entre les États ».

Mathilde Phillip-Gay rappelle les avancées de la justice internationale, notamment concernant Vladimir Poutine : « Le crime d'agression est une possibilité pour poursuivre Vladimir Poutine. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que cette juridiction fait l'objet de négociations, donc il y aurait une juridiction ad hoc qui pourrait juger Vladimir Poutine pour crime d'agression. Le crime d'agression, c'est le crime qui consiste à déclencher une guerre illégale quand on domine l'appareil d'État. Et donc, un centre international de poursuite a ouvert en juillet à La Haye et récolte les preuves pour ce crime. Donc, la première étape est franchie. C'est d'autant plus un grand événement car désormais, des chefs d'État peuvent être jugés devant les juridictions. Alors, c'est vrai qu'il y a des reflux, mais le mouvement va quand même dans le bon sens, selon moi ».

Pour Michel Duclos, ces procédures ont tout de même un effet sur les dirigeants : « Malgré tout, ces gens ont quand même peur. Vous avez vu que Poutine a évité de trop se déplacer lorsqu'il a compris qu'il y avait un risque pour lui. Bachar el-Assad, pendant longtemps, n'est pas beaucoup sorti de son pays. Donc ce n'est peut-être pas majeur, mais ça contribue quand même à créer une certaine pression. Et dans le cas de la Syrie, il n'y a pas de tribunal, puisque la Syrie n'a pas reconnu la Cour pénale internationale. Et donc, la communauté internationale, les Nations Unies, ont trouvé un moyen de contournement qui est un mécanisme spécial qui réunit des preuves. Selon moi, il faut un tribunal ad hoc, si le tyran local ne le reconnait pas tant pis, mais on ne peut pas laisser un vide juridique absolu au nom de cette immunité des chefs d’Etat, qui doit quand même avoir des limites devant l’horreur ».

Le Temps du débat
38 min

Pour aller plus loin :

- Reed Brody est l'auteur de l'ouvrage La Traque de Hissène Habré. Juger un dictateur dans un monde d'impunité (Éditions Khartala, à paraître le 21 mars 2024)

- Mathilde Philip Gay est l'autrice de  Peut-on juger Poutine ? (Éditions Albin Michel, 2023)

- Michel Duclos a dirigé l'ouvrage collectif Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde (Éditions de l'Observatoire, 2023)

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