Crépue, entre racisme larvé et acceptation de soi : épisode • 1/5 du podcast Carte blanche à Alice Diop

"Nappy Hair" : la contraction de "Natural" et de "Happy" ©Getty - 	Cavan Images
"Nappy Hair" : la contraction de "Natural" et de "Happy" ©Getty - Cavan Images
"Nappy Hair" : la contraction de "Natural" et de "Happy" ©Getty - Cavan Images
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En France, de nos jours, pour de nombreuses femmes noires, assumer ses cheveux crépus est un long cheminement. Entre acceptation de soi, racisme larvé et malgré la pression des canons et normes esthétiques blancs, certaines font le choix de laisser leurs cheveux naturels.

Le cheveux sont-ils devenus une arme politique ? A travers l'oeuvre d'artistes engagés comme Solange Knowles ou encore Inna Modja, et divers mouvement pour le nappy hair - qui milite pour des cheveux natural (naturels) et happy (heureux), les cheveux semblent être devenus un symbole politique et identitaire fort.

Avant la fin du mandat de Barack Obama, des internautes suppliaient sur Twitter la première dame, Michelle Obama, d'arborer ses cheveux naturels, non lissées au moins une fois, pour "montrer aux jeunes femmes que ce n'est pas un problème". Ce n'est qu'après la fin du mandat de son époux, qu'on l'a vu les cheveux naturels, après huit années de frisage intensif.

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Aujourd'hui en France, assumer ses cheveux crépus reste un long cheminement pour de nombreuses femmes racisées. Entre acceptation de soi, racisme larvé et malgré la pression des canons et normes esthétiques blancs, certaines font le choix de laisser leurs cheveux naturels.

Aline a 43 ans, elle est coiffeuse experte et formatrice dans les cheveux crépus et bouclés. Dans un vieux manuel sur lequel elle s'est appuyée pour passer son brevet de coiffure, Aline retombe sur la liste des "anomalies" capillaires, dont les cheveux crépus font partie. Dans le manuel, daté de 2010, il est indiqué : "Les cheveux crépus sur l'ensemble de la tête sont une affection congénitale ou héréditaire." Aline raconte : "J'étais choquée et mal à l'aise, parce que ça me renvoyait à un sentiment que j'avais déjà ressenti quand j'étais enfant. Que mon cheveux était une anomalie. Le fait que ce soit écrit par des professionnels... Cela m'a donné des frissons. (...) Ce qui est écrit est incorrect, discriminant et raciste."

Aline continue : "À l'école, il n'y avait pas beaucoup de noirs dans ma classe. J'ai pris conscience de ma différence vers 7 ans. Dans la cour d'école, un camarade m'a traité de "sale noiraude", en référence au dessin animé "La noiraude", qui était une vache noire. Ce moment-là a cristallisé une différence négative pour moi."

Elle tente alors de gommer cette différence comme elle le peut. Pendant des années, elle supplie sa mère de la laisser de défriser les cheveux, ce qu'elle finit par accepter : "J'ai eu un défrisage "à chaud". Dans la communauté antillaise, c'est traditionnel de faire cela après la première communion, comme un rite de passage. Après je voulais passer au défrisage chimique, avec de la soude caustique, un produit qui est aussi utilisé pour déboucher les toilettes."

Aline explique que ces pratiques capillaires étaient une condition nécessaire à son bien-être : "Avec ces défrisages, je me sentais belle pour la première fois, je me sentais femme. Et je ressemblais à mes camarades, en plus."

Elle se défrise alors régulièrement les cheveux avec des traitements chimiques et agressifs. Un jour, sa coiffeuse laisse poser le soin plus longtemps, pour que les cheveux soient le plus raides possibles. Le cuir chevelu d'Aline est alors brûlé, elle est obligée de se raser la tête : "J'ai les cheveux qui repoussent, courts et crépus à la garçonne. Je me retrouve confrontée à cette image. (...) J'ai eu un déclic, à partir de ce moment-là. Je voulais ressembler à ma meilleure amie, qui avait de longs cheveux blonds. Finalement, le regard sur moi a changé. J'avais des retours positifs, et j'ai commencé à prendre goût aux cheveux crépus."

Chanson de fin : "Black Is the Color of My True Love's Hair" par Lauryn Hill - Album : "Nina Revisited: a Tribute to Nina Simone" (2015) - Label : Sony Music Entertainment.

Lien vers le studio Boucle d’Ébène.

  • Reportage : Martine Abat
  • Réalisation : Clémence Gross

Rediffusion de l'émission du 6 février 2018.

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