Le Havre, 1872. Comme une impression de soleil levant

Quelle heure était-il ce jour-là, au mois de novembre 1872, quand Monet s’est installé devant sa toile, dans sa chambre à l’Hôtel de l'Amirauté, face au port du Havre ? La question est cruciale afin de savoir si le soleil était en train de se lever ou de se coucher. Le tableau, aujourd’hui conservé au musée Marmottan-Monet à Paris, pas très loin de la Maison de la Radio, est devenu l’icône de l’impressionnisme. Il était environ 7 h 35 ce matin du 13 novembre 1872 quand Claude Monet peignit Impression, soleil levant.

S'affranchir de l'académisme

Au XIXe siècle, il faut passer par des institutions officielles pour devenir un artiste reconnu, notamment par l’Académie des Beaux-Arts. Cet organe d’État promeut une peinture tournée vers des sujets religieux, historiques, ou mythologiques. Cependant, des peintres contestataires commencent à remettre en question le système académique. Gustave Courbet représente de manière crue les réalités du monde moderne ;  Édouard Manet traite de sujets du quotidien dans un style qui rend apparent les coups de pinceaux. Ces peintres d’avant-garde font scandale et constituent des modèles pour les impressionnistes.

Naissance du mouvement impressionniste

Dans les années 1870, un groupe de jeunes peintres centré autour de  Claude Monet continue de refuser le moule académique. Ségolène Le Men, historienne de l'art, revient sur la trajectoire originale de Monet : "Il s'est presque formé lui-même. Il a commencé sur les quais du Havre en dessinant des caricatures de touristes, ce qui est d'une certaine manière une façon de s'initier à la technique de la série." Il rencontre ensuite Eugène Boudin – surnommé "le roi des ciels" par Camille Corot – qui l'initie à la peinture en plein air, rendue possible par le développement des toiles sur chevalet et de la peinture en tube. Un style nouveau s'élabore "par le travail de la touche et par la vigueur de la couleur", comme le décrit l'historienne de l'art, et porte une attention aux variations de la lumière naturelle. Les peintres, qui ne sont pas encore qualifiés d'impressionnistes, représentent les scènes quotidiennes de la vie moderne, avec un intérêt pour la bourgeoisie et ses loisirs nouveaux.

Paysages normands, paysages impressionnistes

La Normandie sert de terre d'accueil aux impressionnistes quand ils rencontrent des difficultés financières, en particulier les premières années de leur activité. "Monet et Pissarro y viennent parce qu'il y a déjà sur place une communauté de riches industriels qui sont aussi collectionneurs. Ils s'intéressent à la nouveauté et achètent leurs œuvres", relève Philippe Platel, directeur du festival Normandie impressionniste 2024.

Partagée entre paysages industriels et espaces naturels, la Normandie est un terrain d’étude idéal pour les impressionnistes. L’industrialisation y reconfigure l’économie et provoque un exode rural vers Rouen et Le Havre. Bénéficiant de la jonction en chemin de fer avec Paris, les côtes normandes se couvrent de stations balnéaires où la bourgeoisie urbaine goûte à des loisirs nouveaux : bains de mer, casinos, courses hippiques… L'essor économique crée une agitation qui fascine les  peintres impressionnistes. "Le tableau Impression, soleil levant fait partie d'une lignée de témoignages d'une époque où on veut essayer de capter ces moments où tout bouge – les bateaux, la fumée des usines, les passants, les marchands…" conclut Philippe Platel.

Pour en savoir plus

Ségolène Le Men est professeure émérite d’histoire de l’art à l'Université Paris Nanterre. Elle travaille sur l’art français du 19e siècle.
Elle a notamment publié :

• Le Panorama, un art trompeur, codirigé avec Jean-Roch Bouiller, Laurence Madeline et Giusy Pisano, Septentrion, 2019
• La Bibliothèque de Monet, codirigé avec Claire Maingon et Félicie de Maupeou, Citadelles & Mazenod, 2013
• Monet, Citadelles & Mazenod, 2010
• Courbet, Citadelles & Mazenod, 2007

Philippe Platel est commissaire d’exposition. Il est directeur avec Philippe Piguet du festival  Normandie impressionniste en 2024.

Références sonores

• Archive sur l’auberge saint Siméon présentée dans l’émission Chefs-d'œuvre en péril, Antenne 2, 1984
• Lecture par Marion Dupont d'un extrait du roman L'Œuvre d'Émile Zola, 1886
• Archive de l'historien de l'art René Huygue à propos de Gustave Courbet dans Vérités et chimères, RTF, 23 novembre 1949
• Archive du neveu du peintre Frédéric Bazille dans L'art et la vie, RTF, 8 juin 1950
• Lecture par Marion Dupont d'un extrait du Peintre de la vie moderne de Charles Baudelaire, 1863
• Chanson Made in Normandie par Stone et Charden, 1997
• Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020