Itinéraire d'un féminicide

Un collage de photographies d'Alaïs ©Radio France
Un collage de photographies d'Alaïs ©Radio France
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Elle s’appelait Alaïs Ragot, elle avait 18 ans et le 10 février 2020, elle a été violemment assassinée. Quatre femmes racontent, tour à tour, ce féminicide tragique et les années non moins violentes qui l’ont précédé : Stéphanie, sa mère, Dym, sa sœur, Lola, une amie et Nathalie, sa tante.

Stéphanie se rappelle sa fille plus jeune, avant son entrée au collège, "Alaïs était curieuse, très sociable, très souriante". La vie de la jeune fille bascule lorsqu’un camarade de classe la viole, "je ne reconnaissais plus ma fille qui ne voulait plus que je la touche, que je l'appelle ma puce : j'ai compris bien plus tard que c'est comme ça qu'il l'appelait quand il a abusé d'elle". À l’époque, Alaïs se confie à quelques copines, "ça a fait tout un enchaînement de rumeurs", "quand elle est retournée à l'école, on lui a tourné le dos", "il y avait toujours cette suspicion d'innocence vis-à-vis ce garçon qui était très populaire, très drôle, très charismatique".

Alaïs change d’établissement, mais les rumeurs la poursuivent. Très vite, elle sombre : elle commence à se scarifier, multiplie les fugues et les passages en hôpital psychiatrique. Progressivement, la jeune adolescente coupe les ponts avec sa famille. À 16 ans déjà, elle n’habite plus avec ses parents. Pour sa sœur, c’est à ce moment qu’elle aurait commencé à se prostituer, sans le dire à personne. À sa mère, elle explique qu’elle fait du baby-sitting.

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À cette époque, Alaïs côtoie Lola, toutes deux sont exploitées par un même réseau de prostitution, à la tête duquel se trouve le proxénète Quentin R. Lola raconte les explosions de violence, à répétition, "j’ai dit, mais tu vas la tuer, arrête", "là, il nous a dit ce soir, je vais en tuer une, j'ai un sac mortuaire, il me disait qu'il allait nous mettre dedans et nous jeter dans le lac". Un soir, alertés par le voisinage, les policiers interviennent dans l’appartement. Les proxénètes fuient la capitale et délocalisent le réseau à Montpellier, "dans le sud, c'était la même chose, l'argent ne venait pas à nous, on se faisait insulter et frapper par les proxénètes".

Alaïs continue à travailler. Petit à petit, elle économise suffisamment pour lancer l’affaire dont elle rêve : un salon de coiffure. Dans la nuit du 10 au 11 février, Quentin R et plusieurs complices s’introduisent chez Alaïs pour lui soutirer les 10 000 € qu’elle avait mis de côté. Alaïs refuse et ils la rouent de coups de pieds et lui portent plusieurs coups de couteau. Alaïs arrive à l'hôpital en état de mort cérébrale et quelques heures plus tard, elle décédera des suites de ses blessures.

Nathalie, la tante, assiste à la reconstitution policière, "c'est comme ça que j'ai pu mettre en mots et comprendre tout le processus qui a mené à sa mort", "c'est un féminicide : c'est la destruction de son visage, de son image physique", "tu n'es plus rien : je t'annihile et je te possède, je t'annihile et je te détruis".

Le 16 mars dernier, Quentin R, le principal suspect, se donne la mort en cellule.

Les Pieds sur terre
28 min
  • Reportage : Laurène Daycard & Pauline Verduzier
  • Réalisation : Alexandra Kandy-Longuet

Merci à Stéphanie, Nathalie, Dym et Lola.

Musique de fin - You Don't Own Me, Lesley Gore, Album : Lesley Gore Sings of Mixed-Up Hearts (1963)

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