Inaction climatique : la Justice internationale met les États au vert

Manifestants devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), à Strasbourg, le 9 avril 2024. ©AFP - FREDERICK FLORIN
Manifestants devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), à Strasbourg, le 9 avril 2024. ©AFP - FREDERICK FLORIN
Manifestants devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), à Strasbourg, le 9 avril 2024. ©AFP - FREDERICK FLORIN
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La Cour européenne des droits de l'homme a condamné mardi, pour la première fois, un État pour son inaction face au réchauffement climatique. Pourquoi une telle décision et quelles conséquences en attendre ?

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La Suisse était poursuivie par l’association Aînées pour la protection du climat, un groupe de 2 500 femmes suisses toutes âgées de plus de 65 ans, estimant que Berne ne prenait pas de mesures suffisantes pour atténuer les effets du changement climatique, en violation de leurs droits à la vie, à la santé et au bien-être.

Une décision "fondamentale"

Pour comprendre l’importance de cette décision, Quentin Lafay reçoit Arnaud Gossement avocat en droit de l'environnement et de l'énergie, professeur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Pour le juriste, l’arrêt de la Cour est "fondamental". "C’est la première fois qu'elle jette un pont entre les droits de l'homme, à travers la Convention européenne de 1950 dont elle est gardienne, et la question du changement climatique. Les magistrats ont consacré un droit de tous les individus à une protection effective par les États contre les effets néfastes du changement climatique. Ils se basent sur l’article 8 de la Convention qui protège le droit à une vie privée et vie familiale normale, considérant qu’une lutte inefficace contre le réchauffement planétaire conduira à une entrave de ce droit. […] Dans ce cas-ci, c’est la Suisse qui a été condamnée, mais de manière générale, ce sont tous les États signataires de la Convention qui, aujourd'hui, doivent veiller au respect de cette obligation."

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À écouter : La justice climatique
Matières à penser
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Une menace déjà effective

Marie Bellan, journaliste aux Échos, spécialiste de l'environnement et du suivi des politiques publiques en faveur du climat, nous explique ce lien entre le droit à la vie privée et la question écologique. "Ce pont juridique établit qu’un environnement sain où les émissions de gaz à effet de serre sont limitées est nécessaire pour préserver les droits de la Convention. Dans la victoire juridique de ces Suissesses âgées, la Cour souligne que les effets néfastes du changement climatique ne sont pas juste une menace pour les générations futures, mais aussi pour le présent. Nous y sommes déjà exposées, et ces femmes séniors en sont victimes à travers les vagues de chaleur ou la pollution de l’air." L’arrêt de la Cour rappelle donc la Suisse à un devoir de cohérence à respecter face aux textes de lutte contre le réchauffement climatique dont elle est signataire. L’institution juridique oblige la Suisse à mettre en place des moyens concrets pour atteindre les objectifs auxquels elle s’est engagée, tout en laissant aux autorités helvétiques la liberté de créer leurs politiques publiques comme elles l'entendent pour y parvenir. De cette manière, la séparation des pouvoirs est préservée, à l’encontre de l'image d’un "gouvernement des juges" que la journaliste dénonce comme un fantasme.

Une application dans tous les pays membres

Les jugements de la Cour sont souvent très "mesurés" et résultent de longues procédures s’étalant sur des années. Des gages qui leur assurent une crédibilité nécessaire au vu de leur importance juridique, détaille Arnaud Gossement. "Les arrêts de la Cour s’imposent dans les 46 États membres, et dans ces États à l’ensemble de leurs pouvoirs et autorités judiciaires. Les juges nationaux doivent étudier et faire appliquer la nouvelle jurisprudence qui, dans ce cas-ci, a été émise par la Grande Chambre de la Cour, sa forme la plus solennelle rassemblant la totalité de ses 17 juges. Grâce à la décision de mardi dernier, tout acteur qui subirait les conséquences du changement climatique, du citoyen jusqu’aux entreprises dont l'activité économique est impactée, pourra se saisir de ces arrêts de la Cour dans ses futures requêtes. Sous couvert de respecter les conditions de recevabilité évidemment."

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