Corée du Nord : planifier l'autarcie : épisode • 3/3 du podcast Des économies communistes

Des nord-coréen.nes s'inclinent devant les statues des leaders historiques. Pyongyang, février 2024 ©AFP
Des nord-coréen.nes s'inclinent devant les statues des leaders historiques. Pyongyang, février 2024 ©AFP
Des nord-coréen.nes s'inclinent devant les statues des leaders historiques. Pyongyang, février 2024 ©AFP
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Comment l’économie nord-coréenne fondée sur le principe de l’autarcie peut-elle résister au sein d'une économie mondialisée ?

Avec
  • Théo Clément chercheur indépendant, spécialiste du développement économique de la Corée du Nord
  • Manon Prud'homme doctorante en géographie culturelle à l'EHESS, membre du laboratoire “Chine, Corée, Japon”

Après soixante-quinze années d’économie collectiviste, le modèle de développement nord-coréen continue de susciter interrogations et fascinations auprès des Occidentaux. Le pays se construit dès le début des années 1950 autour d’une idéologie communiste de planification, le juche, qui promeut l’autosuffisance et l’indépendance vis-à-vis des pays extérieurs.

Avec une population urbaine estimée à environ 60%, la Corée du Nord présente des indices de développement contradictoires : fondée sur une économie industrielle, elle affiche des taux d’alphabétisation élevés, tout en étant marquée par des insuffisances alimentaires.

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Après avoir longtemps bénéficié du soutien des pays du bloc de l’Est tout en cherchant à affirmer la singularité de son modèle, la Corée du Nord plonge en 1994 dans une grave famine qui aurait fait 1 à 3 millions de victimes, révélant les failles de son système de distribution publique.

Depuis les années 2000, la nation est un pays de contraste. Alors que d’un côté le président Kim Jong-un, au pouvoir depuis 2011, a mis en place une politique de modernisation et d’ouverture de l’économie, il poursuit les programmes nucléaires amorcés par son père et réaffirme, depuis la pandémie, son autorité sur les marchés informels, Théo Clément nous précise que "beaucoup d’observateurs occidentaux ont pensé que la Corée du Nord allait se lancer dans une libéralisation à la chinoise. La création de Zones Économiques Spéciales (ZES) avait été interprétée comme tel et beaucoup d’entreprises étrangères, chinoises et occidentales, se sont ruées pour être les premières à conquérir le marché avant son ouverture formelle. Il faut dire que nous sommes entre la Chine, la Russie et la Corée du Sud et le coût du travail est 5 à 10% moins élevé que dans les autres pays de la région".

Car malgré l’idéologie socialiste de façade, la famine de 1994 a mené au développement de marchés privés et d’activités informelles destinées à suppléer aux manques nombreux du régime et à améliorer le quotidien. Alors que le PAM estimait en 2022 que 40% de la population du pays était mal nourrie, beaucoup de Nord-Coréens se livrent aujourd’hui à ces activités informelles, nourrissant une économie souterraine que le régime peine à contrôler. Manon Prud'homme nous rappelle "quand le système de distribution publique s’est effondré, la population nord coréenne a dû trouver des alternatives pour se nourrir en créant des marchés et se livrant au troc et à la vente. On a assisté à une monétisation de la société nord-coréenne dès les années 2000 et à la circulation d’argent liquide. Aujourd’hui encore, les supermarchés sont très peu fréquentés, malgré les lois de planification socialiste qui obligent à disposer d’un nombre minimum de commerces par quartier et d’un bon réseau de transport. Nombre de Nord-coréens préfèrent s’approvisionner sur des marchés informels".

D’autant plus que ces initiatives privées, liées de près à de vastes réseaux de corruption, permettent aux caisses noires de Kim-Jong un de se remplir et au régime de se financer. Profitant de sa proximité nouvelle avec la Russie et avec la Chine, avec qui Kim Jong-un vient d’annoncer un rapprochement prochain, la Corée du Nord continue d’affirmer son autosuffisance économique.

Alors que son voisin du sud constitue aujourd’hui l’une des plus grandes puissances économiques régionales et que l’écart entre les deux Corées s’est creusé de manière colossale, la Corée du Nord pourrait-elle changer de modèle économique ? Est-elle un pays “en transition”, destiné à se convertir à l’économie de marché ?

Pour aller plus loin

  • sous la direction de Valérie Gelézeau et Benjamin Joineau : Faire du terrain en Corée du Nord : écrire autrement les sciences sociales (Atelier des Cahiers, 2021)
  • Juliette Morillot, Dorian Malovic : La Corée du Nord en 100 questions (Tallandier, 2024)
Sans oser le demander
58 min

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