Le crime organisé en Europe : une menace sur l'État de droit ?

Le crime organisé  : un défi pour l'Europe ©Getty - © powerofforever / Coll. E+
Le crime organisé : un défi pour l'Europe ©Getty - © powerofforever / Coll. E+
Le crime organisé : un défi pour l'Europe ©Getty - © powerofforever / Coll. E+
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Le crime organisé pose un véritable défi à l’État de droit. Les démocraties sont prises dans une course de vitesse inégale avec des entités puissantes, immensément riches, déliées de toutes les procédures démocratiques, qui se moquent des frontières lorsque les États restent territorialisés.

Avec
  • Frédéric Van Leeuw Procureur fédéral de Belgique
  • Raffaele Piccirillo Procureur général adjoint à la Cour de cassation italienne.

On a appris, récemment, qu’en octobre 2022, la princesse Amalia des Pays-Bas, a dû être exfiltrée et envoyée en Espagne, car son nom, comme d’ailleurs celui du premier ministre, était apparu sur une liste émise par le crime organisé, la Mocro Maffia. En septembre 2022, le ministre de la Justice belge, Vincent Van Quickenborne, avait, lui aussi, été menacé d’enlèvement. Ces révélations incroyables montrent la force des réseaux mafieux qui opèrent en Europe du Nord en ayant pour point d’entrée le port d’Anvers. Cette réalité bouleverse notre carte mentale qui pensait que la mafia était cantonnée au sud et que son influence faiblissait à mesure que l’on remontait vers le nord de l’Europe.

Frédéric Van Leeuw : "À l'heure actuelle, grâce justement au décryptage de la messagerie utilisée par des dizaines de milliers de criminels dans le monde, la messagerie Sky Sisi, et grâce à la collaboration des Néerlandais, des Belges et des Français, nous sommes parvenus à décrypter cette messagerie que l'on pensait indécryptable ! [...] Nous avons récupéré 1 milliard 200 millions de communications sur 18 mois. Ça nous a donné une image de la criminalité organisée que l'on n'avait pas avant, parce qu'il y a beaucoup de choses qui étaient souterraines."

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Raffaele Piccirillo : "La mafia conditionne le processus démocratique et amplifie le défi à l'État de droit. Il est même banal, du point de vue italien, de définir les groupes criminels organisés ou du moins les plus consolidés historiquement, comme "anti stato" (anti état), comme un des systèmes alternatifs à celui de l'état, mais aussi qui pénètre dans la machine étatique."

Le crime organisé est un défi spécifique pour l’Europe, cette péninsule du continent asiatique qui se caractérise par la multiplicité et la proximité d’états qui ont décidé de mutualiser leur souveraineté dans une aventure unique dans l’histoire. C’est pourquoi, dans la perspective des élections européennes, Esprit de justice a réuni deux invités exceptionnels, car aux premières lignes de cette lutte ; deux magistrats qui ont accepté de débattre de ces importantes questions, Frédéric Van Leeuw, Procureur fédéral de Belgique et Raffaele Piccirillo, qui a été juge des enquêtes préliminaires au tribunal de Naples, spécialisé dans la lutte contre la corruption, puis Directeur des affaires pénales au ministère de la Justice italien et qui a négocié, à ce titre, nombre de traités d’extradition et de coopération internationale. Il a été également directeur de cabinet de la dernière ministre de la Justice italienne, et occupe actuellement les fonctions de procureur général adjoint à la Cour de cassation italienne.

Frédéric Van Leeuw : "Au niveau international, ça n'étonnera personne que 17 % des échanges, des conversations qu'il y avait dans cette messagerie se faisaient en anglais. Après ça, tout le monde s'attendait à ce que ce soit l'espagnol. Or, la deuxième langue, au niveau international, c'est l'italien. Donc, ça montre quand même les liens avec des grands groupes organisés, comme la ’Ndrangheta, par exemple, une organisation qui s'est beaucoup exportée, et entre autres, aussi en Belgique."

Raffaele Piccirillo : "Je pense que l'internationalisation des mafias n'est pas un phénomène récent. Je rappelle que Giovanni Falcone (juge anti-mafia italien) collaborait déjà avec le FBI et les autorités américaines dans les années 1980 en utilisant les rares instruments formels de coopération judiciaire de l'époque. [...] D'autre part, la Camorra, aussi, traitait déjà, dans les années 1970, avec le clan des Marseillais, des affaires liées à la contrebande de tabac, au trafic de stupéfiants et elle traitait aussi des affaires de drogue avec le cartel sud américain et les trafiquants espagnols."

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Frédéric Van Leeuw : "L'importance de la confiscation est aussi importante par rapport au fait que ces gens ne connaissent pas de frontières. [...] Je vois surtout des gens qui voyagent, qui s'établissent à Dubaï, au Maroc, en Turquie, où parfois il suffit d'investir dans l'économie locale pour obtenir la nationalité et donc être protégé à ce niveau là, ce qui pose un défi à l'Union européenne d'être un peu plus uni par rapport à ces pays pour lutter contre ces barons de la drogue."

Raffaele Piccirillo : "Je pense que l'outil le plus important dans le domaine de la lutte contre le crime organisé, c'est la laloi sur les repentis, qui a été copiée dans de nombreux pays du monde. [...] Il s'agit d'une source irremplaçable, précieuse pour connaître les mécanismes internes des organisations criminelles mafieuses et aussi du terrorisme. Je pense important, essentiel qu'il y ait une harmonisation des différents systèmes dans ce domaine."

Pour aller plus loin

Extraits musicaux

  • Choix de Frédéric Van Leeuw : La beauté du cœur de Damien Saez - Album Telegram (2022).
  • Choix de Raffaele Piccirillo : Deborah’s Theme par Ennio Morricone, extrait de la bande originale du film Il était une fois en Amérique (1984).

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