"La mobilisation est dans l'Adn de Sciences Po" disent les professeurs comme ici lors de la manifestation en faveur de la liberté scientifique en octobre 2023. ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
"La mobilisation est dans l'Adn de Sciences Po" disent les professeurs comme ici lors de la manifestation en faveur de la liberté scientifique en octobre 2023. ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
"La mobilisation est dans l'Adn de Sciences Po" disent les professeurs comme ici lors de la manifestation en faveur de la liberté scientifique en octobre 2023. ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
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À l'IEP de Paris, pour la deuxième fois depuis le début de l'année scolaire, la nouvelle direction a exclu temporairement trois étudiants pro-palestiniens. Une sanction qui vient s'ajouter à la cinquantaine de procédures disciplinaires en cours. La communauté universitaire est abasourdie. Enquête.

Le 25 février dernier, 3 étudiants de Sciences Po ont reçu un mail de la direction leur notifiant leur exclusion temporaire durant un mois pour avoir participé à une action propalestinienne deux semaines plus tôt, devant la salle du conseil de l'institut. Le visage dissimulé sous un masque chirurgical, afin de se protéger de la réutilisation de leur image sur les réseaux sociaux et notamment par l'extrême droite, ces étudiants avaient chanté et crié leur revendication : demander l'arrêt des partenariats de leur établissement avec les universités israéliennes en lien avec la guerre à Gaza, ainsi qu'avec les entreprises française qui participent à cette guerre.

Intimidation des étudiants

L'un des étudiants exclus, qui préfère parler sous anonymat pour ne pas effrayer ses parents, estime avoir été piégé par l'institution. Lors de la manifestation d'une vingtaine d'étudiants, il affirme que le responsable de la vie étudiante leur a demandé de cesser la manifestation sous peine de sanctions immédiates. Ce que les étudiants ont fait. Ce directeur, qui a par ailleurs été invité à s'expliquer par le comité déontologique de Sciences Po après avoir créé de faux profils sur les réseaux sociaux pour pister les étudiants, a, 3 heures plus tard, convoqué les manifestants.

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"On ne nous a pas présenté ce rendez vous comme un entretien contradictoire mais comme une conversation informelle. Sauf qu'à la fin, comme nous avions tous admis avoir participé à la manifestation. Ce directeur de la vie étudiante nous a dit que nous contrevenions au règlement de l'établissement et que nous ferions donc l'objet d'une procédure disciplinaire avec une mesure (d'exclusion) conservatoire." témoigne un des étudiants exclus.

Prévue par le code de l'éducation, cette mesure préventive qui exclut l'élève avant son conseil de discipline est exceptionnelle. Pourtant, à Sciences Po, c'est la 7e mesure de ce type depuis septembre 2024. Contactée, la direction a refusé de répondre à une interview, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une sanction et arguant que cette mobilisation était violente et représentait un trouble à l'ordre public. Des allégations que réfute la présidente du syndicat l'Union étudiante, Alice Cohen-Morzadec, qui fait partie des élèves exclus mais aussi certains des élus présents ce jour-là à l'intérieur de la salle où se tenait le conseil de l'Institut.

"Ce n'est pas facile pour nous parce que nous suivons les cours à distance mais nous n'avons pas accès aux sources de la bibliothèque ni à un contact direct avec les enseignants or c'est la période des partiels et nous nous sentons mal préparés", souffle Alice Cohen-Morzadec, la présidente de l'Union étudiante. Juive, elle fustige les amalgames de la direction et de l'extrême droite et ajoute : "Cette mesure est une mesure politique qui vise à intimider les étudiants pour qu'ils cessent de se mobiliser pour la paix. On dit de nous que nous sommes violents, c'est faux; que nous manifestons avant de dialoguer mais dans les instances, la direction de Sciences Po nous méprise, et même on nous agresse." "Et nous n'avons pas d'autre choix que de passer par la mobilisation pour nous faire entendre" corrobore une élue de l'Union étudiante.

Les étudiants qui malgré tout continuent de se mobiliser "pour defendre la paix" et "contre le génocide en Palestine" ne comprennent pas pourquoi ils sont empêchés par la direction de leur établissement. Mais la direction assure qu'il y a eu 70 événements organisés autour de cette question depuis un an, avec des personnalités politiques de tout bord et fustige l'instrumentalisation des étudiants par LFI. Néanmoins, ce mardi 18 mars 2025, la direction a choisi de faire à nouveau entrer la police sur le campus pour déloger une manifestation pacifique.

"La mobilisation en interne des étudiants sur leur campus c'est comme le droit de grève des salariés dans leur entreprise.  C'est une question de liberté d'expression et donc de démocratie " clame un étudiant qui préfère rester anonyme.

"Etre élue dans un syndicat étudiant ne vous protège pas au contraire!" Alice Cohen Morzadec, la présidente de l'Union Etudiante, exclue temporairement e Sciences Po
"Etre élue dans un syndicat étudiant ne vous protège pas au contraire!" Alice Cohen Morzadec, la présidente de l'Union Etudiante, exclue temporairement e Sciences Po
© Radio France - Cécile de Kervasdoué

En interne un regime de peur

De sources proches de l'instance, une cinquantaine de procédures disciplinaires sont en cours. La direction n'en reconnait que la moitié et les justifie par la défense de la culture et des valeurs démocratiques de Sciences Po. Un double discours qui chez les enseignants chercheurs est à l'origine d'une grande déception et d'un grand malaise depuis l'arrivée du nouveau directeur Luis Vassy, un proche d'Emmanuel Macron.

Une pétition de soutien à ces étudiants a été signée par plus de 80 membres de la faculté permanente de Sciences Po. Pourtant, aucun d'entre eux n'a voulu s'exprimer ouvertement en raison de pressions, disent ils, de la part du directeur Luis Vassy.

"Je suis un peu attristée que personne ne veuille s'exprimer mais pas surprise. Moi, j'ai voulu écrire une lettre ouverte pour soutenir les étudiants. J'ai été naïve, je l'ai envoyée à tout mon laboratoire. Cinq minutes plus tard, elle était sur le bureau du directeur qui a piqué une crise. Il y a un vrai problème de dialogue. Or, lorsque les enseignants ont peur de s'exprimer à l'université, c'est le signe que notre démocratie est malade" confie Béatrice Hibou, chercheuse CNRS au Ceri de Science Po, qui milite pour la défense de la liberté scientifique.

Du jamais vu à Sciences po

En interne, les salariés de Sciences Po dénoncent un climat de peur et de méfiance généralisé. Ils reprochent à la direction sa nouvelle doctrine qui interdit petit à petit les mobilisations propalestiniennes en interne. Ils ne comprennent pas que la direction puisse être la seule université à avoir signé la Charte républicaine de la région Ile-de-France qui conditionne ses subventions au respect d'une laïcité définie par les élus Les Républicains.

Surtout, ils reprochent au directeur de ne pas hésiter à saisir la justice administrative quand les décisions des conseils de discipline ne vont pas dans son sens. Comme cela s'est produit en fin d'année dernière. Une judiciarisation de la vie universitaire qui selon eux semble "poser les jalons de la dérive autoritaire en cours à Sciences Po et à terme dans le reste du paysage universitaire français", et qui "doit nous faire prendre conscience qu'en France nous traversons la même guerre culturelle, la même défiance scientifique que celle qui a lieu actuellement aux Etats-Unis" comme l'affirme Jean François Bayart, un ancien du Ceri à Sciences Po.

C'est inédit et c'est très grave, s'inquiète enfin un grand nom de l'institution, qui lui non plus ne souhaite pas être cité.  "Sciences Po, dit-il, est en train de glisser pour devenir un défenseur de l'ordre dans un monde où l'ordre se substitut au débat".

À écouter

De Columbia à Sciences Po : les étudiants en première ligne des mobilisations pro-palestiniennes

France Culture va plus loin (l'Invité(e) des Matins)

43 min

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