Juan Gabriel Vásquez entre guerre et paix

Juan Gabriel Vásquez à Modène le 13 mai 2008 ©Getty - Leonardo Cendamo
Juan Gabriel Vásquez à Modène le 13 mai 2008 ©Getty - Leonardo Cendamo
Juan Gabriel Vásquez à Modène le 13 mai 2008 ©Getty - Leonardo Cendamo
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L'auteur colombien renoue avec le genre de la nouvelle dans "Chansons pour l'incendie" qui paraît traduit en français par Isabelle Gugnon le 1er avril (Seuil). Juan Gabriel Vásquez nous y livre neuf histoires traversées par la violence, violence qui a profondément marqué l'histoire de son pays.

Avec

Après Histoire secrète du Costaguana (Seuil, 2010), Le Bruit des choses qui tombent (Seuil, 2012) et Le Corps des ruines, (Seuil, 2017), Juan Gabriel Vásquez continue son exploration de la violence, quotidienne comme historique, en Colombie, cette fois-ci, non pas sous la forme d'un roman, mais d'un recueil de nouvelles, Chansons pour l'incendie (Seuil, 2021). Le romancier s'était déjà essayé à ce genre dans son troisième ouvrage, Les amants de la Toussaint (Seuil, 2011), qui se déroulait principalement dans les Ardennes belges où il a brièvement séjourné. Dans Chansons pour l'incendie, il nous offre un recueil tentaculaire où les personnages et les histoires finissent par s'entrecroiser, qui propose une véritable réflexion sur notre rapport à l'Histoire en interrogeant la construction des récits.

Mes romans sont toujours un regard sur le passé depuis le présent : c’est très important que le narrateur habite dans le monde que j’habite. La mémoire est le grand sujet, parce que l’ensemble du passé, qui est le territoire qui nous influence, qui donne forme à nos vies présentes, n’est accessible que par les histoires. (Juan Gabriel Vásquez)

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En effet, les nouvelles à la première personne de Juan Gabriel Vásquez présentent des similarités étonnantes avec la vie de l'écrivain : dès lors, quel statut accorder à ces narrateurs anonymes, mais qui ressemblent à s'y méprendre à l'auteur ? La question est d'autant plus délicate que beaucoup des nouvelles du recueil insistent sur le pouvoir qu'ont les personnages qui livrent des récits aux autres; ces personnages déforment la vérité, voire mentent, interrogeant par là même l'authenticité de ce qui nous est raconté par ce narrateur qui nous promet, dès la première page, de ne raconter que ce qu'on lui a dit.

Toutes les nouvelles partent d’un événement réel que j’ai vécu. Ce sont des nouvelles en partie autobiographiques, mais on manipule, on transforme l'événement réel. La fiction permet de reformuler ce que l’on a vécu pour essayer de trouver une compréhension plus profonde de ce qui s’est passé. [....] Les narrateurs de ce livre sont toujours surpris par l’histoire de l’autre. Nous avons tous cette curiosité extrême pour la vie de l’autre, et la nouvelle prend la forme d'une enquête sur les autres, comme des territoires obscurs, mystérieux. (Juan Gabriel Vásquez)

Près de cinq ans après la non-ratification par référendum des accords de paix entre le gouvernement colombien et les FARC, Juan Gabriel Vásquez rappelle que, dans une société aussi divisée que la société colombienne, proposer un récit historique relève de l'impossible. A travers le genre protéiforme de la nouvelle, il semble néanmoins décidé à tenter de transformer le récit en un moyen de réconciliation: "c'est notre unique consolation à nous autres, les fils de ce pays ravagé par les flammes, condamnés à évoquer, à vérifier, à regretter avant de nous mettre à composer des chansons pour l'incendie." conclue-t-il ainsi son recueil. 

Commencer à écrire sur la Colombie m’a pris plusieurs années: je croyais que le fait de ne pas comprendre mon pays rendait inadmissible d’écrire sur lui. J’ai fini par comprendre que le fait de ne pas comprendre est la meilleure raison d’écrire sur quoi que ce soit. Ce n’est pas la nostalgie, mais la sensation d’obscurité qui me guide. Le pays nous surprend : des monstres et des fantômes sortent des coins obscurs. (Juan Gabriel Vásquez)

La Grande table idées
32 min

Extrait sonore

  • Borges parle de son rapport à son pays dans Lectures (ORTF, 1964)

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