Amos Gitai et Yitzhak Rabin, chroniques d'une obsession

Collage signé Amos Gitai, à l'occasion de l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai", visible à la BNF à Paris jusqu'au 7 novembre 2021 - Amos Gitai - 2021
Collage signé Amos Gitai, à l'occasion de l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai", visible à la BNF à Paris jusqu'au 7 novembre 2021 - Amos Gitai - 2021
Collage signé Amos Gitai, à l'occasion de l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai", visible à la BNF à Paris jusqu'au 7 novembre 2021 - Amos Gitai - 2021
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Depuis l'assassinat du premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995, Amos Gitai ne cesse de le questionner, le filmer, le déplier et l'exposer comme une variation architecturale. Visite guidée dans l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai" avec le cinéaste et sa scénariste, Marie-José Sanselme.

Avec

Le 4 novembre 1995, à l’issue d’une manifestation pour la paix à Tel-Aviv, le premier ministre israélien Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste religieux opposé au processus. C’est un choc immense pour la société israélienne. Et pour le cinéaste Amos Gitai, qui était revenu 3 ans auparavant de son long exil parisien, précisément suite à l’élection de Rabin, c’est un événement historique et intime qui va marquer toute la suite de son œuvre. 

Je pense qu'Yitzhak Rabin représente le modèle israélien, ou un projet de société qui était celui des fondateurs avant même qu'Israël existe, que par sa détermination et son intégrité c'est aussi un certain modèle d'homme politique. Le destin de cet homme et le destin de son projet sont importants à rappeler aujourd'hui.                
Marie-José Sanselme

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Amos Gitai interviewant Yitzhak Rabin en 1994
Amos Gitai interviewant Yitzhak Rabin en 1994
- Amos Gitai

Variations sur un même thème

Yitzhak Rabin, Amos Gitai l’avait déjà filmé, dans un ensemble de documentaires consacrés au processus d’Oslo, c’était Donnons une chance à la paix. Trois semaines après son assassinat, il tourne L’Arène du meurtre, puis en 2015, le monumental Dernier jour d’Yitzhak Rabin, qui mêle images d’archives et fiction extrêmement documentée, pour reconstituer le contexte idéologique et politique qui a permis le meurtre. Depuis, Amos Gitai revient sans cesse à l’événement historique, le transposant dans différents médiums, dimensions, lieux et territoires : des expositions et installations, à Rome, Bruxelles et Avignon, ou une pièce de théâtre, Yitzhak Rabin, chronique d’un assassinat, créée au Palais des Papes en 2016 et diffusée par France Culture.

Je trouve que l’obsession est essentielle dans tous les domaines de l'art, comme dans la musique. Il y a un aspect répétitif, comme une variation sur un même thème. Le réel est comme un site archéologique, dans lequel on creuse, on arrête, on revient. Là, je creuse dans une éruption volcanique en permanence, c'est risqué. Il faut que l'artiste prenne le risque de proposer une lecture du volcan en éruption des rapports du Moyen-Orient avec Israël. On n'avance pas qu'avec les mitraillettes et l'argent mais aussi par les idées. Alors moi je propose une idée. (...) Dans cette exposition, on est actuellement guidés par l'équipe de Plan Large, qui établit un rythme de perception. Dans une symphonie musicale ou au cinéma, le compositeur ou le cinéaste établissent le rythme de perception. Tu ne peux pas modifier le déroulé. C'est une des choses qui m'intéressent le plus quand je transpose cet événement qui a bouleversé Israël et le Moyen-Orient. Je veux l'étudier : comment prendre le grand événement public qu'est l'assassinat d'Yitzhak Rabin et le transposer dans des médiums différents ?                
Amos Gitai

Avignon 2016 - Fictions
1h 59

Le cinéma comme acte civique

La documentation colossale rassemblée pour ces projets par Amos Gitai et ses équipes, 30 000 documents, 14 téraoctets de données, a fait l’objet en 2018 d’un don à la Bibliothèque nationale de France. En résulte aujourd’hui une exposition, Yitzhak Rabin / Amos Gitai, dans l’allée Julien Cain du site François-Mitterrand de la BnF à Paris, où le cinéaste déplie, déploie et retravaille la matière même de son film. C’est à la visite de cette exposition que nous vous convions dans Plan Large, une visite enregistrée à la veille des élections législatives israéliennes qui ont, à nouveau, donné une majorité, certes relative, à Benjamin Netanyahou, l’ennemi juré d’Yitzhak Rabin et son successeur, après son meurtre, au poste de premier ministre. Visite guidée par Amos Gitai lui-même, et une de ses plus proches collaboratrices, sa scénariste depuis plus de 20 ans, Marie-José Sanselme.

Il y a toujours ce rapport entre l’événement et la façon de l'articuler par les moyens du cinéma. Le travail que je fais depuis maintenant depuis 40 ans est civique. Je considère que le cinéma me donne le prétexte à comprendre la société qui m'intéresse, qui me touche. J'ai envie de proposer une lecture de son histoire contemporaine. Comme le geste est civique, j'ai choisi cet espace linéaire public pour que les visiteurs puissent tous la voir de la manière qu'ils veulent, et qu'ils puissent l'interpréter comme ils le souhaitent. Je signe toujours un film comme un architecte, un bâtisseur de films.                
Amos Gitai

Antoine Guillot, Amos Gitai et Marie-José Sanselme devant l'image d'Yigal Amir, l'assassin de Yitzhak Rabin, dans l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai" présentée à la BNF jusqu'en novembre 2021
Antoine Guillot, Amos Gitai et Marie-José Sanselme devant l'image d'Yigal Amir, l'assassin de Yitzhak Rabin, dans l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai" présentée à la BNF jusqu'en novembre 2021
- Pascaline Bonnet - mars 2021

Réparer l'image manquante

Le parcours de cette exposition est comme un long travelling en plan-séquence d'un film d'Amos Gitai, mais c'est aussi un retour aux sources, à son geste d'architecte. C'est à la fois le cinéaste et l'architecte qui s'expriment dans l'allée Julien Cain de la BnF, une exposition qui montre l'envers du film

Dans le film, Amos Gitai commence par montrer les images tournées en 1995 par ce vidéaste amateur qui filme, pendant 40 minutes, l'attente du meurtrier au bas des escaliers, et qui filme également Yitzhak Rabin descendant ces escaliers. On voit le coup de feu, il est pris par l'émotion et sa caméra se renverse. Dans le film d'Amos, il y a ces images d'archives, il y a la reconstitution sur les lieux mêmes de l'assassinat, on voit le passage à la fiction. Le plan qu'Amos propose ne peut pas avoir eu lieu dans la réalité mais on ne s'en rend pas compte car en tant que spectateur, on adopte ce point de vue, on inscrit l'image d'archive dans le projet et ensuite on part dans la voiture avec Yitzhak Rabin blessé comme si on espérait qu'il va survivre. C'est la puissance de la fiction qui est expressément mise en jeu ici pour dire que le projet du film va être de s'appuyer sur la vérité et de faire ce travail d'enquête qu'Amos a décrit un peu plus tôt.              
Marie-José Sanselme

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La chronique de Charlotte Garson

En fin d'émission, la chronique de Charlotte Garson nous chante les vertus du silence au cinéma, avec le livre L’attrait du silence, d’Antony Fiant, paru aux éditions Yellow Now. Un livre éloquent dans lequel on passe de Lubitsch à Raymond Depardon en croisant Claude Lanzmann comme Jim Jarmush, Alfred Hitchcock comme Wang Bing, Jerzy Skolimowski ou Aki Kaurismäki, sans oublier notre cher Alain Cavalier, et bien sûr Robert Bresson, qui écrivait dans ses Notes sur le cinématographe que "le cinéma sonore a inventé le silence". 

Vincent Gallo dans le film "Essential Killing", de Jerzy Skolimowski, Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2010
Vincent Gallo dans le film "Essential Killing", de Jerzy Skolimowski, Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2010
- Surreal Distribution

Autour de l'exposition "Yitzhak Rabin / Amos Gitai"

Lectures : Amos Gitai, Yitzhak Rabin : chroniques d'un assassinat, le catalogue de l’exposition est édité par Gallimard ; Amos Gitaï et l’enjeu des archives, sous la direction de Jean-Michel Frodon est paru aux éditions Sébastien Moreau et La Caméra est une sorte de fétiche : filmer au Moyen-Orient - leçon inaugurale du Collège de France de Amos Gitaï est paru aux éditions Fayard. 

Débat autour du film Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin, d’Amos Gitai avec Amos Gitai, Patrick Boucheron, Antoine de Baecque est visible en ligne sur Youtube.

Give Peace a chance, suivi de L’Arène du meurtre, deux films d’Amos Gitai seront à voir le mardi 2 novembre 2021 au Petit auditorium de la BNF à Paris. 

Le spectacle Yitzhak Rabin. Chronique d’un assassinat, sera repris, sous une forme remaniée, au Théâtre du Châtelet à l’automne

Les recommandations de Plan Large 

Côté revues, on vous recommande le numéro 10  de Revus & Corrigés, la revue qui jette des regards modernes sur des films classiques. Ce numéro consacre notamment un volumineux dossier au cinéma d’Afrique Noire. Ousmane Sembène, Sarah Maldoror, Safi Faye, Djibril Diop Mambéty, Moustapha Alassane et nombre de cinéastes oublié.e.s ou carrément méconnu.e.s sont au programme de ce passionnant numéro sur ce continent de cinéma peu vu, car peu diffusé.

Comme chaque premier samedi du mois, nous vous proposons de découvrir des films mis à disposition par la très cinéphile plateforme MUBI. Ce mois-ci, ce sont deux films de Jacques Rivette, avec des héroïnes, filles du feu et du tonnerre : il y a Duelle, un polar fantastique à la Jacques Tourneur, avec du Howard Hawks dedans ; et Noroît, un film de femmes pirates, avec à leur tête Bernadette Lafont toute de velours parme vêtue, et aussi Geraldine Chaplin. A voir et revoir en réécoutant le Plan Large que nous avions consacré au cinéaste

59 min

Extraits et musiques

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