Mon corps m'appartient : la stérilisation volontaire

Manifestation dans les rues de Rennes le 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes. ©AFP - DAMIEN MEYER
Manifestation dans les rues de Rennes le 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes. ©AFP - DAMIEN MEYER
Manifestation dans les rues de Rennes le 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes. ©AFP - DAMIEN MEYER
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À 27 ans, Florence, ambulancière-pompier à Besançon, fête les 4 ans de sa stérilisation volontaire et définitive. Elle ressemble à une amazone rousse et tatouée, comme ces femmes de plus en plus jeunes et sans enfants qui font ce choix politique et féministe, contre vents et marées.

À 27 ans, Florence est ambulancière et pompier. Son enfance, au même titre que sa venue au monde, a été compliquée. Après un déni de grossesse et des tentatives d’auto-avortement, sa mère accouche pour divorcer rapidement. Les seuls souvenirs qu’elle conserve ne sont guère heureux.

L’arrivée sur terre était pas top. À deux ans, les parents divorcent. Jusqu'à mes dix ans, ça a été compliqué. 

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Montrant peu d’affection, sa mère ne l’épaule pas lorsque la puberté arrive précocement - notamment les règles à 9 ans et demi. 

J’ai un peu cherché des réponses toute seule, et pas forcément de la meilleure des manières. Quand j’ai eu treize ans, j’ai vécu des choses pas forcément drôles avec un garçon, beaucoup plus âgé que moi, et qui a profité de ma naïveté pour pouvoir tirer des choses de moi.

Florence se retrouve enceinte à 14 ans. Une grossesse qu’elle découvre par accident, en demandant à sa mère pourquoi elle n’a pas ses règles. Chez le médecin de campagne, elle connait sa première IVG médicamenteuse.

Ce premier IVG n’a eu aucune conséquence sur moi à l’époque, parce que je n’en avais pas conscience. Je l’ai su bien plus tard, j’avais peut être seize ou dix-sept ans.

Rapidement, la jeune femme devient la Cendrillon de sa famille, au milieu de son frère et de sa soeur. Elle ne connaît pas la vie sociale de son âge : pas de week-end, pas de fêtes, pas de sorties avec les copains et les copines. 

Dès que j’ai été en capacité de gérer une maison, j’ai vraiment été une petite adulte à m’occuper de mes frères et soeurs comme si c’étaient mes enfants, et à avoir des responsabilités. Tout ça, ça me permettait d’exister [dans la famille]. […] Je pouvais pas rentrer de l’école à 16H30 et aller me poser dans ma chambre. C’était inimaginable.

À 15 ans, Florence fréquente des filles, ce qui ne plaît pas forcément à sa mère :

Ma mère me disait : « Bah non, ma fille, tu vas te marier comme tout le monde, tu vas nous pondre des gamins comme tout le monde, et puis c’est tout quoi ! ». Mais je n’avais aucune envie de reproduire ça. 

Elle finit toutefois par sortir de cette emprise à sa majorité. Elle annule son baptême, se maquille, se rase et se fait tatouer.

J’ai vraiment eu l’impression de sortir de ma campagne quand j’ai eu 18 ans. J’ai commencé à aller où mes jambes me menaient. J’ai découvert pleins de trucs, j’allais dans des bars LGBT, où l’on discutait de trop de trucs ; j’ai rencontré des personnes trans, alors que je ne savais pas ce que c’était à l’époque ; je sortais avec des hommes, des femmes, un peu de tout à vrai dire. Je me suis rendue compte que j’avais un avis sur tel sujet, un avis sur un autre, et en fait on m’avait jamais permis de penser.

Alors qu'elle se construit en tant que femme, le schéma social qui pèse sur elle ne lui plaît pas. Florence souhaite échapper au prisme de la maternité. Sa sensibilité à la cause écologique renforce d'ailleurs son absence d'instinct maternel : elle ne se voit pas avec un enfant. Pour couronner le tout, les moyens de contraceptions "traditionnels" échouent :

En tout, j’ai fait sept IVG dans ma vie, si on compte celui que j’ai fait jeune. On dit que la pilule est efficace à 99% : bah il reste forcément 1%, et ce pour-cent a été deux fois pour ma pomme. Il y a eu des ratés.

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Il existe toutefois une autre solution. En regardant la télévision, Florence entend parler de la stérilisation volontaire, qu’elle pensait alors n’être réservée qu’aux animaux. En consultant son gynécologue, elle déchante : il faudrait avoir déjà eu des enfants, et avoir un certain âge. C’est en allant sur un groupe Facebook qu’elle tombe des nues : on lui a menti. Des jeunes femmes sans enfants l’ont fait, et une loi permet d’ailleurs à quiconque de se faire stériliser, en respectant un délai de réflexion de quatre mois.

En consultant à nouveau, Florence pleure : « elle n’est pas stable dans [sa] tête », lui dit-on, à 21 ans. 

Mais, c’est pourtant simple à la base. Il y a une loi qui est avec moi, je veux juste me faire stériliser. Coupez-moi les trompes et foutez-moi la paix, quoi.

Commence alors un long parcours : Florence enchaîne les consultations, les gynécologues, qui insistent tous sur l’aspect « irréversible » d’un tel choix. 

Aujourd’hui, on a le droit de ne pas vouloir d’enfant, et si l'on a une opération qui permet de ne pas prendre des hormones de merde toute notre vie, c’est pas négligeable ! Je respecte énormément les femmes qui veulent des enfants et n’y arrivent pas, mais j’aimerais, par contre, que l’on me respecte en tant que femme qui ne veut pas d’enfants.

Quand un médecin accepte, il lui demande la signature de son mari :

Je réponds alors que j’ai le droit de vote depuis 1944 et que je peux encore aller acheter mon pain toute seule... Donc j’allais certainement pas demander à mon mari, qui n’existait pas.

Pendant 3 ans, Florence est plus que déterminée à se faire « couper les ovaires ». Chaque jour qui prolonge sa quête lui fait prendre conscience du milieu conservateur et patriarcal qu’est la gynécologie. Elle essuie d’ailleurs certaines remarques désobligeantes : 

J’ai déjà eu un gynécologue qui m’a dit que la meilleure contraception, c’était de fermer les cuisses. […]. Tout le monde savait mieux que moi ce que je devais faire de mon utérus, si je devais le remplir ou pas. Lâchez-moi l’utérus, stop. Arrêtez de vouloir le remplir !

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Au bout de 17 gynécologues, l’un d’entre eux accepte enfin. Florence n’y croit pas : ses « trois ans de galères » touchent à leur terme. Elle pourra se faire opérer en 2017 après sept IVG, des pilules inefficaces et des dizaines de consultations ratées. 

C’est la première personne dans ma vie qui m’a dit : « vous n’avez pas eu une vie facile, quand même ».

Des années après, Florence ne regrette rien : à 27 ans, les enfants lui « tapent sur le système » plus que jamais. Et elle n’en démord pas. Il lui arrive de fêter l’anniversaire de sa cicatrice, tous les 17 avril, avec son compagnon.

Je n’ai aucune gêne et aucune honte par rapport à ça . C’est une méthode de contraception comme une autre, sauf que celle-ci est définitive. 

Mais tout reste possible : au cas où une once d’instinct maternel viendrait grandir en elle, elle peut encore enfanter… Et, dit-elle, ça peut rassurer les gens, et couper court à toute la « moralisation » que ce sujet peut engendrer.

  • Reportage : Sophie Simonot
  • Réalisation : Emmanuel Geoffroy

Merci à Florence et à Lisa, merci à Olivier et Corina de la maternité des Lilas ainsi qu'à toutes les personnes rencontrées sur la page Stérilisation volontaire.

Musique de fin : "Shine (Kygo Remix)", Benjamin Francis Leftwich - Album : Shine - EP, 2014 - Label : Island Records.

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