Estival Camus : rencontre avec Alice Kaplan

Albert Camus à la salle Pleyel à Paris en 1958 ©Getty -  Gamma-Keystone
Albert Camus à la salle Pleyel à Paris en 1958 ©Getty - Gamma-Keystone
Albert Camus à la salle Pleyel à Paris en 1958 ©Getty - Gamma-Keystone
Publicité

"L'Etranger" de Camus est le troisième roman francophone le plus vendu au monde. Un véritable rite de passage, explique l'universitaire américaine Alice Kaplan. Elle a enquêté sur le roman, traçant en creux une biographie de Camus : "En quête de «L'Étranger»" (Gallimard, 2016).

Avec
  • Alice Kaplan Écrivaine, historienne et professeure de littérature française à l'Université de Yale.

Comme beaucoup d'élèves américains et français, Alice Kaplan, auteure de En quête de «L'Étranger» (Gallimard, 2016, traduit de l'anglais par Patrick Hersant). a d'abord lu L'Etranger à l'école, où ses enseignants ont utilisé le livre pour lui apprendre différents temps grammaticaux. La simplicité du style fait en effet du roman de Camus un objet intéressant pour les enseignants du monde entier, mais le thème du roman, qui est celui d'un sentiment d'étrangeté vis-à-vis de la société, parle aussi beaucoup aux adolescents. Alice Kaplan explique même qu'il existe un livre d'Albert Camus pour chaque période de la vie. 

Qu'est-ce qui fait, alors, la résonnance universelle des romans de Camus ? Ses textes sont pourtant souvent ancrés dans un espace très précis, en particulier son Algérie natale, dont il a tant aimé peindre la beauté ensoleillée. A cette détermination de lieu s'ajoute aussi une forte subjectivité. Dans L'Etranger, malgré la narration à la troisième personne, l'immersion dans le personnage de Meursault est totale, au point même que l'on ne sache rien de sa victime. C'est pour rendre justice à l'Arabe tué par Meursault que Kamel Daoud écrit Meursault contre-enquête (Actes Sud, 2016), pour lui donner un nom et dévoiler l'envers du décor. Pourtant, la fureur du frère de la victime de Meursault, Haroun, cède la place à l’empathie et à une identification quasi fraternelle.

Publicité

Camus a toujours dit qu'en allant de "L’Etranger" à "La Peste", il allait du stade de l’absurde au stade de la révolte : Meursault est tout seul avec la mort tandis que Rieux, qui est le narrateur de "La Peste", va retrouver un sens au monde en s’alliant aux autres. (Alice Kaplan)

La force de Camus réside-t-elle dans le fait que son œuvre peut être constamment réactualisée, relue sous le prisme féministe ou post-colonial ? Ou peut-être est-elle à trouver dans cet équilibre entre engagement et célébration de la vie?

La différence entre Camus et Sartre, c'est que Camus considère que l'on n’est rien par rapport à la nature, on est peu de choses. C'est pour ça que je conçois Camus comme un écrivain écologique, un écrivain vert. (Alice Kaplan)

Récemment, ses textes ont trouvé une résonnance toute autre. En effet, durant l'épidémie de Covid-19, les éditeurs de Camus ont vu les ventes de son roman La Peste atteindre des sommets jusqu'alors inconnus. Ce roman écrit à Chambon-sur-Lignon pendant la Seconde Guerre mondiale raconte une épidémie de peste qui frappe la ville d'Oran à travers le personnage du Dr. Rieux. Loin d'être, à l'origine, un récit de la vie en temps de peste, l'ouvrage de Camus est une fable sur la peste brune, l'épidémie de fascisme qui frappa l'Europe dans la première moitié du XXe siècle. Pourtant, explique Alice Kaplan, le public est retourné à la lettre du texte pour y trouver un reflet intime de l'expérience de confinement. Une lecture plus littérale du texte qui vient rappeler que l'œuvre de Camus est protéiforme. 

"La Peste" correspondait à cette expérience de la Seconde Guerre mondiale, de l'Occupation ;  les gens se reconnaissaient à travers l’allégorie. En mars 2020, cette allégorie de la Seconde Guerre mondiale s’est complètement effondrée et "La Peste" est devenue un livre sur la pandémie. On commençait non plus à lire en allégorie mais littéralement. (Alice Kaplan)

Pendant la pandémie, je pense qu’on regardait très souvent le ciel, comme si le ciel pouvait nous donner une réponse  à ce qui nous était arrivé. (Alice Kaplan)

Les ruines romaines de Tipasa, en Algérie, qui ont inspiré les "Noces" et "l'Eté" de Camus
Les ruines romaines de Tipasa, en Algérie, qui ont inspiré les "Noces" et "l'Eté" de Camus
© Getty - Youcef Krache

Un ouvrage d'Alice Kaplan, en collaboration avec Laura Marris, States of Plague: Reading Albert Camus in a Pandemic, est à paraître en 2022 aux Presses de l'Université de Chicago

La Grande table culture
26 min

Extraits sonores:

Des lectures et des paroles sur L'Etranger de Camus par :

  • Albert Camus en train de lire l’étranger  
  • Le professeur egyptien Alaa El Aswany  
  • L’écrivaine rwandaise  Scholastique Mukasonga
  • L’écrivain et journaliste Erri De Luca
  • Le dessinateur argentin José Muñoz
  • L’écrivain et journaliste suisse Peter Stamm
  • Le réalisateur Luchino Visconti parle de son film L’Etranger (1967) et l’erreur commise dans son adaptation (France inter, actualités de 13H, 23/05/1971) 
  • Kamel Daoud à propos de Meursault, contre-enquête (France Culture, 26/09/2014)

L'équipe