Chine : la stratégie impériale de Xi Jinping. Avec Paul Charon et Alice Ekman

Un journaliste utilise son téléphone en face d'une photo de Xi Jinping lors d'une visite du Musée du Parti Communiste Chinois. ©AFP - Noël Celis
Un journaliste utilise son téléphone en face d'une photo de Xi Jinping lors d'une visite du Musée du Parti Communiste Chinois. ©AFP - Noël Celis
Un journaliste utilise son téléphone en face d'une photo de Xi Jinping lors d'une visite du Musée du Parti Communiste Chinois. ©AFP - Noël Celis
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Aujourd’hui il est question de la Chine, de ses moyens et de ses fins, avec Paul Charon, co-auteur du rapport de l’IRSEM sur les opérations d'influence chinoises.

Avec
  • Paul Charon Directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » à l'IRSEM.
  • Alice Ekman Analyste responsable de l'Asie à l'Institut des études de sécurité de l'Union européenne (EUISS)

Au début du mois d’octobre l’Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire [IRSEM] publiait un rapport sur les opérations d’influences chinoises, sous-titré « un moment machiavélien ». Cette référence directe au Prince de Machiavel permet de résumer un double constat : si la Chine continue ses opérations de séduction à travers le monde, elle fait aussi preuve depuis quelques années d'une nouvelle politique plus agressive pour dissuader et contraindre ses ennemis intérieurs et extérieurs. 

Ce rapport fait plus particulièrement état des moyens employés par la Chine pour étendre son influence à travers le monde, s’appuyant notamment sur les nouvelles technologies et la force de diffusion des réseaux sociaux. Sans obtenir un succès systématique, cette stratégie chinoise sert des intérêts économiques et politiques, mais surtout une ambition idéologique : faire tomber les puissances occidentales et remodeler le monde à son image.

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Comment s'articulent ces stratégies d’influence ? Quels en sont les acteurs et les canaux ? Quel modèle la Chine cherche-t-elle à diffuser, voire à imposer ? Assistons-nous à un retour des stratégies de propagande maoïste ? 

Nous en parlons ce matin avec Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’IRSEM et co-auteur du rapport de l’IRSEM : “Les opérations d’influence chinoise : un moment machiavélien”. Il est rejoint en deuxième partie par Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne, et autrice de Rouge vif. L’idéal communiste chinois réédition poche Flammarion (prix du livre de géopolitique 2020 et prix Aujourd’hui 2020).

Le rapport de l'IRSEM

Le rapport de l'IRSEM a été très mal reçu par la Chine. Est-ce le gouvernement français qui l'a commandé ?

Non, la plupart de nos rapports sont à l'initiative des chercheurs de nos équipes. Nous travaillons parfois sur commande du ministère des Armées, mais la plupart du temps, ce sont les chercheurs qui fixent eux-mêmes les sujets sur lesquels ils désirent travailler. Paul Charon

On trouve en tout cas 650 pages qui sont assez alarmantes, avec une méthode de travail inédite et qui mérite d'être exposée.

On s'est appuyé sur plusieurs outils : à la base, il y a des missions que nous avons faites en Chine et autour, ainsi qu'en Europe. Au cours de ces missions, nous nous sommes entretenus avec des officiels, mais aussi avec des membres de la société civile (journalistes, universitaires...). Nous avons aussi essayé d'exploiter des ressources qui ne sont pas toujours utilisées par les think tanks : la production du Parti lui-même, alors qu'il a une littérature très riche ; ou bien ce qu'on appelle les "sources ouvertes", c'est-à-dire qu'on est allé fouiller l'internet sinophone. Paul Charon

La base 311

Parmi les révélations du rapport, il y a la "base 311". De quoi s'agit-il ?

On connaissait déjà l'existence de cette base, mais on en savait peu de choses. Par les méthodes expliquées, nous avons réussi à en apprendre plus. C'est une base située en face de Taiwan, et qui est spécialisée dans ce que les Chinois appellent "les trois guerres", qui désignent les moyens de combat sous le seuil du conflit armé. Cela comprend la guerre de l'opinion publique, la guerre psychologique et la guerre du droit. Cette base est spécialisée dans ces méthodes, et elle est essentiellement tournée vers Taiwan. Paul Charon

Y a-t-il des exemples que l'on peut donner ?

La pénétration quotidienne, en ce moment, dans l'espace aérien taiwanais relève vraiment du volet "guerre psychologique" : on abaisse le niveau de vigilance des Taiwanais, on recueille du renseignement, on élimine la possibilité d'une réaction vive en cas de conflit... Paul Charon

"Pouvoir discursif" et Soft power chinois

La stratégie verbale très agressive de la Chine, dont témoigne par exemple le comportement de l'ambassade en France à l'égard d'Antoine Bondaz, repose notamment sur une lecture très particulière des œuvres de Michel Foucault.

Les Chinois ont retenu un concept en particulier : celui de "pouvoir discursif", qu'on trouve dans L'Ordre du discours de Foucault, sa leçon inaugurale au Collège de France. L'idée de ce pouvoir discursif, compris dans ce cadre, c'est la saisie de la parole : prendre la parole, c'est prendre le pouvoir, et prendre le pouvoir, c'est exclure la parole de l'autre. C'est exactement le schéma que la Chine essaie de mettre en place. Paul Charon

Et ils ont des moyens de prendre la parole qui sont très modernes, par exemple avec des sites comme TikTok ou des marques comme Huawei. Pourquoi faudrait-il s'en méfier ?

TikTok, ce n'est pas forcément le plus problématique. D'une manière générale, l'ambition de la Chine est d'imposer partout dans le monde un discours positif sur elle-même. Cela implique d'aller contrôler les récits, d'essayer de les influencer. La Chine s'attache d'abord à la contrôler au sein de la diaspora, parce que c'est plus simple. Il faut donc contrôler la production d'informations sur WeChat. Cela va être le cas partout ailleurs, en essayant de toucher des personnes dans la langue locale. Paul Charon

Une puissance révisionniste

On dit parfois que la Chine est une puissance "révisionniste", mais en quel sens du terme ?

On entend parfois par là que la Chine voudrait entièrement faire table rase des institutions internationales, alors que ce n'est pas forcément le cas. Elle s'intègre dans la situation existante, elle les maintient en espérant les changer de l'intérieur. C'est par exemple le cas des Nations unies. Ce qui est intéressant à noter, c'est que la Chine s'intègre à certaines institutions quand la marge d'influence est à son avantage. Elle en ravive ou en revigore certaines qui jusqu'à présent ne servent à rien ou ne veulent rien dire. Et surtout, elle en crée de nouvelles, comme la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, créée il y a plus de cinq ans. Alice Ekman

Ce qui est intéressant, c'est qu'avant, la Chine ne reprenait pas trop le vocabulaire des Nations unies, par exemple "droits de l'homme" ; elle n'aimait pas cette expression, ou la reprenait avec parcimonie. De même pour "Etat de droit". Avec Xi Jinping, donc depuis l'automne 2012, sa stratégie de communication et de propagande consiste à reprendre le vocabulaire de la démocratie en le redéfinissant de l'intérieur et en faisant valider ces définitions dans les institutions internationales avec l'aide d'autres pays à parti unique. Alice Ekman

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