Transfuges de classe : à l'origine était... Annie Ernaux

L'écrivaine Annie Ernaux photographiée chez elle à Cergy le 14 janvier 2008 ©Getty - Ulf Andersen
L'écrivaine Annie Ernaux photographiée chez elle à Cergy le 14 janvier 2008 ©Getty - Ulf Andersen
L'écrivaine Annie Ernaux photographiée chez elle à Cergy le 14 janvier 2008 ©Getty - Ulf Andersen
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On ne compte plus les écrivains que Annie Ernaux a inspirés. Égérie des "transclasses", elle est aussi reconnue comme la mère de l’autofiction sociologique contemporaine et comme une écrivaine féministe déterminante. Elle est avec nous pour cette Grande table des idées.

Qu'il s'agisse de relater son avortement clandestin, d'interroger sa condition de femme, de réfléchir à sa trajectoire de transfuge de classe ou de penser son histoire individuelle au sein du XXème et du XXIème siècle, Annie Ernaux est une écrivaine qui semble déterminée à se confronter au réel afin d' "écrire la vie". C'est d'ailleurs le titre de son Quarto paru aux éditions Gallimard où sont rassemblés ses plus grands textes. 

Issue d'une famille de petits commerçants normands, Annie Ernaux a eu un parcourt de "transclasse" aux nombreuses étapes qui l'a fait passer d'un milieu à un autre. Première de sa famille à faire des études supérieures à l'Université de Rouen, elle obtient le Capes puis l'agrégation en poche, Annie Ernaux déménage, se marie et apprend à devenir mère de famille bourgeoise à Cergy. Après la publication de son premier roman en 1974, la reconnaissance arrive avec le Renaudot pour La Place en 1983 avec lequel elle découvre le pouvoir de l'écriture. Comme elle le raconte "Un livre lu puis posé sur l'étagère et oublié, ce n'est pas quelque chose que j'ambitionnais. [...] Je ne pensais pas que je pouvais changer la vie des gens. Ç_a, ça a été une découverte avec La Place car je recevais de partout des témoignages me disant que j'avais raconté leur histoire._"

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Son écriture autobiographique puise dans le matériel personnel qu'est sa vie afin d'écrire des récits qui parlent à la collectivité des lecteurs. Son regard critique et distancié, largement empreint de sociologie, lui permet de raconter l'intime et le collectif simultanément. Ce projet d'écriture culmine avec Les Années (2008), une large fresque historique de l'après-guerre jusqu'à 2008 qui se fait "autobiographie collective". Le format de l'autofiction sociologique qu'elle a inventé pour décrire sa trajectoire sociale a inspiré de nombreux autres auteurs comme Didier Eribon, Edouard Louis ou Marie NDiaye. Par son écriture, elle se sent "traversée par les autres comme une putain. Ce double mouvement de séparation et d'être traversée fait que j'écris." (Annie Ernaux).

Annie Ernaux est aussi reconnue comme une écrivaine féministe qui a toujours cherché à décortiquer la domination masculine et à comprendre les enjeux de la condition féminine. En racontant son avortement, en analysant sa situation de mère de famille ou en scrutant son propre désir sexuel, elle dote les femmes de récits et de représentations inédites. Le fait-même d'avoir recouru à l'avortement clandestin a forgé son écriture car, comme elle le dit : "je ne pouvais plus écrire comme j'avais écrit avant, qui était la recherche d'une forme à tout prix, qui était purement intellectuelle. Je n'écrivais pas avec mon corps."

A 81 ans, c'est maintenant d'un bout de sa vie qu'elle écrit les autres, toujours avec son corps mais un corps d'écrivain. "Les écrivains travaillent, mais ce n’est pas avec les mains. Ce n’est pas vraiment le corps de la fatigue, c’est avec sa tête, sa mémoire. Mais ça suppose un corps, c’est tout. Et le corps quelques fois vous lâche. Ça m’arrive souvent. J’ai 81 ans, mais je suis frappée par la simplicité de vieillir et des choses qui changent et qu’on n'avait pas prévues. La mémoire et la perception du temps sont différentes. Il y a un changement perpétuel de regard sur son histoire, sur son passé. Par rapport au monde aussi. Il n’y a pas de peur. J’ai de l’étonnement." constate Annie Ernaux.

La Grande Table culture
28 min

Extraits sonores

  • Module Nina Bouraoui (France Inter, 10.18), Didier Eribon (France Inter, 02.15), Marie NDiaye (France Inter, 12.16)
  • Nicolas Mathieu, France Culture, 11.18
  • Edouard Louis, sur "Qui a tué mon père", France Inter, 06.18

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