Qui veut aider l'Afghanistan ?

Les personnes déplacées à l'intérieur du pays reçoivent une aide alimentaire distribuée par l'ambassade de Turquie à Kaboul, en Afghanistan, le 30 octobre 2021. ©Maxppp - STRINGER/EPA
Les personnes déplacées à l'intérieur du pays reçoivent une aide alimentaire distribuée par l'ambassade de Turquie à Kaboul, en Afghanistan, le 30 octobre 2021. ©Maxppp - STRINGER/EPA
Les personnes déplacées à l'intérieur du pays reçoivent une aide alimentaire distribuée par l'ambassade de Turquie à Kaboul, en Afghanistan, le 30 octobre 2021. ©Maxppp - STRINGER/EPA
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Six mois après le retour au pouvoir des talibans, la faim menace aujourd'hui 55% de la population afghane, selon l'ONU. Face à cette crise, la communauté internationale semble paralysée.

Avec
  • Gilles Dorronsoro Politiste, professeur de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
  • Pierre Micheletti Président d’Action contre la faim, professeur à l’Université Grenoble-Alpes
  • Chekeba Hachemi Fondatrice et présidente de l'association Afghanistan Libre

Depuis la prise de pouvoir des talibans, les discussions patinent quant à l’aide à apporter à la population afghane : peut-on aider un peuple sans soutenir un régime ? En Europe, France et Allemagne sont divisées sur ce sujet alors même que l’ONU a annoncé aujourd’hui co-organiser le mois prochain, avec le Royaume-Uni, un sommet virtuel pour rassembler les quatre milliards quatre cent millions de dollars nécessaires pour faire face à la crise humanitaire en cours, avec 55% de la population menacée par la famine. En effet, 80% du budget du gouvernement afghan était issu de l’aide internationale, aide qui s’est interrompue lors du changement de régime cet été. Par ailleurs, l’administration américaine a bloqué les avoirs afghans détenus en dollars à l’étranger. 

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Gilles Dorronsoro, enseignant-chercheur en science politique à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, spécialiste de l’Afghanistan et de la Turquie, Chékéba Hachemi, Présidente et fondatrice de l'association Afghanistan Libre, ancienne diplomate et Pierre Micheletti, Président d'Action Contre la Faim, médecin, enseignant-chercheur à l'IEP de Grenoble et à la faculté de médecine Grenoble-Alpes, spécialiste des questions humanitaires internationales.

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Gilles Dorronsoro met en lumière l'intérêt de la discussion avec les talibans pour pouvoir s'engager en Afghanistan et apporter de l'aide à la population : "La négociation n’est pas la reconnaissance : ça fait longtemps qu’on négocie avec les talibans. (…) Pour amener de l’aide en Afghanistan de façon rationnelle, en étant sûrs que ça ne va pas être confisqué par le régime, il faut parler avec les talibans et mettre au clair les conditions pour envoyer de l’aide. On peut faire des choses à Oslo ou Genève, mais tant que les États-Unis ne donneront pas clairement un feu vert, on va se retrouver coincés. (…) On est dans une situation où on pourrait avoir une stratégie d’engagement beaucoup plus forte. Il faut donner du soutien à des secteurs progressistes de la société afghane.".

Chékéba Hachemi, elle, regrette le silence international, et insiste sur la nécessité d'agir rapidement :"Pendant des décennies, j’ai vu se mettre en œuvre de l’aide humanitaire partout dans le monde sans qu’il y ait de négociation ou discussion avec les régimes dictatoriaux. Là, on se pose des questions, alors que les Nations Unies doivent apporter de l’aide directement aux populations. On discute pour savoir si on va laisser les 25 millions d’Afghans qui sont en train de mourir de faim (…) Pourquoi le secrétaire générale des Nations Unies, la commissaire des droits de l’Homme, l’ONU Femmes, ne sont pas à Kaboul pour demander un rapport aux talibans sur la condition des femmes et des droits de l’Homme ? (…) Tout le monde attend la décision américaine, c’est comme si Joe Biden avait une haine ou une revanche sur le peuple afghan, et non pas sur les talibans. (…) Aujourd’hui, l’Europe a une carte à jouer pour sauver ce pays, c’est son rôle.". 

Pierre Micheletti souligne la nécessité de mise en place de conditions pour pouvoir apporter des solutions à la crise afghane : "L’Afghanistan constitue la dernière illustration des limites de mode de financement de l’aide humanitaire tel qu’il existe aujourd’hui. On a une conditionnalité de cette aide et une variabilité au gré du jeu d’un certain nombre de grandes puissances qui remettent en cause les principes d’intervention possibles intangibles dans de telles situations de famine. (...) Il y a la nécessité de restaurer un certain nombre de conditions, il faut pouvoir recevoir de l’argent à Kaboul, mais aussi pouvoir la transférer. (...) La population afghane, qui vit des conflits par procuration depuis au moins quarante ans, n’a cessé de connaître une aspiration à la sécurité fondamentale. (...) On n'a pas le choix d'agir." . 

Bibliographie :

  • Gilles Dorronsoro, Le gouvernement transnational de l'Afghanistan : Une si prévisible défaite, Editions Karthala, 2021 
  • Pierre Micheletti, 0,03 % ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international, Parole Editions, 2020
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