Le standard poétique de John Giorno

Allen Ginsberg et John Giorno à New-York en 1993 ©Getty - Hulton Archive
Allen Ginsberg et John Giorno à New-York en 1993 ©Getty - Hulton Archive
Allen Ginsberg et John Giorno à New-York en 1993 ©Getty - Hulton Archive
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Le poète John Giorno, à la fin des années 1960, a conçu une œuvre performance : "Dial a poem". Un standard poétique par téléphone qui diffuse de la poésie contemporaine.

Le film Sleep, réalisé en 1964 par Andy Warhol donne à voir un homme qui dort allongé pendant plus de cinq heures. Cet homme qui dormait était  son amant, et c'était un poète, il s'appelait John Giorno. Un de ses rêves pouvait s'apparenter à la pensée d'un autre poète : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, qui écrivait : "La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. La poésie doit être faite par tous. Non par un."
 

Que devient la poésie à l'ère des masses, de la télévision, de la consommation, et des industries culturelles ? John Giorno a proposé une réponse dans les années soixante : elle peut devenir un message téléphonique. Une de ses œuvres importantes tient à la fois de la performance, du récital, de l’installation et du service public. Elle s'appelle « Dial a poem ». Traduction littérale en français : « appelle un poème par téléphone ».
 

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On peut entendre ici la voix de John Giorno qui lit son poème "Vajra Kisses". En 1968, il met en œuvre une idée absolument simple, géniale et peut-être pop, qui consiste à proposer un standard poétique. Une distribution de poèmes à l'échelle d'un pays, mais qui passerait par un réseau moderne, celui du téléphone.
 

La première version de « Dial a poem » a eu lieu à l'Architectural League de new York en janvier 1969. Il suffisait à n'importe quel quidam de composer un numéro : le 212-628-0400, et il entendait un poème. Les textes étaient enregistrés par les poètes eux-mêmes puis diffusés à l'oreille des correspondants anonymes. La performance a connu un succès immense, et le standard a été rapidement saturé. 

Giorno invente là un réseau poétique trépidant et crépitant qui détourne les usages classiques de la communication. L'artiste emploie par ailleurs les moyens modernes et commerciaux pour se faire connaître : il loue des encarts publicitaires dans les journaux pour annoncer l’événement. 

Ici, c’est la voix d’outre-tombe de William Burroughs qu’on entend, et qui a collaboré à « Dial a poem ». L'un des enjeux de l’opération consistait pour Giorno à sortir la poésie des bibliothèques, et à la faire descendre de la montagne du Parnasse invisible où on la pose souvent. Il souhaitait aussi diffuser et faire entendre dans les combinés américains de la poésie contemporaine. 35 poètes ont été choisis dans la première version du projet, parmi lesquels on trouve notamment les membres de la beat génération : Burroughs donc, Allen Ginsberg, et aussi Bryon Gysin. Extrait : ici.
 

En savoir plus : Le John Giorno Poetry Day
La Compagnie des poètes
58 min

John Giorno est mort il y a deux ans, mais son œuvre « Dial a Poem » a été reprise maintes fois jusqu'en 2012. Plusieurs initiatives la font encore vivre aujourd'hui. Un standard existe toujours à New-York. Si on compose le + 1 917 994 8949, on peut, et c'est très émouvant, entendre des enregistrements d'origine. Je l'ai composé tout à l'heure, et j’ai entendu un poème sonore de Jackson MacLow, par hasard, car l’entreprise de Giorno est aussi une pratique du hasard. 

On peut écouter plusieurs enregistrements des poètes de « Dial a poem » sur la page ubuweb. La poésie de John Giorno a été publiée en France par les éditions Derrière la salle de bain et Al Dante.

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