Le grand déclin de la démographie russe

Discours de Poutine en Sibérie ©AFP - ALEXEY DRUZHININ / RIA NOVOSTI / AFP
Discours de Poutine en Sibérie ©AFP - ALEXEY DRUZHININ / RIA NOVOSTI / AFP
Discours de Poutine en Sibérie ©AFP - ALEXEY DRUZHININ / RIA NOVOSTI / AFP
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Depuis 30 ans, la démographie du plus vaste pays du monde est marquée par un rétrécissement étourdissant. Une donnée supplémentaire pour saisir les enjeux de la guerre en Ukraine.

On a beaucoup parlé, ces dernières semaines, des déterminants plus ou moins solides de la puissance russe. Capacité militaire, étendue du territoire, ressources naturelles et énergétiques, géographie, industrie, nouvelles technologies... On a (un peu) moins parlé de démographie. Qui fut longtemps, et reste cruciale, quant au poids de la Russie dans le jeu des alliances et le concert des Nations.

Et Maintenant ? La démographie du plus vaste pays du monde est marquée par un rétrécissement étourdissant. On ne parle pas seulement des 10 000 russes morts au combat depuis le début de la guerre en Ukraine. Mais d’une tendance bien antérieure à celle-ci, une tendance qui trace une ligne de déclin depuis la chute de l’Union soviétique.

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1995 : le pays recense 148,5 millions d’habitants. En 2021 ? 146,2. Et ce dernier chiffre intègre les 2,4 millions d’habitants qui se sont ajoutés au pays en 2014 : les habitants de la péninsule de Crimée ! En 2050, selon les prévisions, la démographie du pays pourrait stagner entre 130 et 140 millions de personnes. Le phénomène le plus impressionnant ? Le Covid-19 ! Entre octobre 2020 et septembre 2021, la population russe a diminué de presque 1 million d'habitants. Même le recul historique qui avait suivi le démantèlement de l’Union soviétique avait été moins brutal. Franck Tetart, docteur en géopolitique, coauteur d’un article paru dans le journal Le Monde intitulé "La démographie, l’autre front russe", nous décrit cette évolution de fond.

L'"insécurité démographique"

Naissance, espérance de vie, solde migratoire, surmortalité liée à l’alcoolisme et à ses conséquences, notamment les accidents de la route : tous les voyants sont au rouge. Et l’avenir est sombre : un jeune sur deux songe à vivre de façon permanente à l'étranger. Bruno Tertrais, dans un article disponible sur le site de l’Institut Montaigne, évoque ainsi la crainte "par la Russie d’être un jour absorbée par l'Asie. Appelons cela, dit-il, une 'insécurité démographique'." Ainsi, Vladimir Poutine lançait il y a peu : "Le destin de la Russie et ses perspectives historiques dépendent de combien nous serons." Franck Tetart nous parle de cette (autre) obsession du Président russe.

Autre point fondamental : la part de "l’ethnie" russe dans la population générale a particulièrement rétréci, passant de 81,5 % en 1989 à 77,7 % aujourd’hui. Dans le même temps, la Russie compte aujourd’hui 10-15% de musulmans. Proportion qui pourrait doubler d’ici 15 ans. Cette double tendance inquiète le pouvoir depuis longtemps. Comme le rappelle Bruno Tertrais, "en 1991, lors d'une conversation téléphonique avec le président Bush à la veille du référendum sur l'indépendance de l'Ukraine, Boris Eltsine avait signifié qu’une nouvelle union sans l'Ukraine 'modifierait radicalement l'équilibre [...] entre les nations slaves et islamiques'."

Mesures natalistes, aides au retour des Russes partis à l’étranger, ouverture des frontières aux travailleurs immigrés, naturalisation facilitée… rien ne permet d’enrayer le déclin. Est-ce que le facteur démographique a compté dans la décision du Kremlin d’attaquer l’Ukraine ?

Il n’est certainement pas premier, mais il importe pour saisir la vision géostratégique de Vladimir Poutine. Parce que l’Ukraine compte 44 millions d’habitants et parce que les Ukrainiens sont majoritairement des slaves de l’Est. Une continuité évidente, dans le regard biaisé de ceux qui rêvent de mener à son terme le grand projet d’une grande Russie.

L'Invité(e) des Matins
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