Materrup : le ciment d’argile crue local et bas carbone

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Materrup : le ciment d’argile crue local et bas carbone

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Mathieu Neuvile, PDGde Matterup et ses trois associés Julie et Charles Neuville et Manuel Mercié.
Mathieu Neuvile, PDGde Matterup et ses trois associés Julie et Charles Neuville et Manuel Mercié.
© Radio France - Annabelle Grelier

La jeune pousse landaise produit un ciment à base d'argile crue locale, sans cuisson. Le choix d’un développement en circuit court et sa technologie innovante promettent de réduire de 50 à 80% l’empreinte carbone de la construction, l’un des secteurs les plus polluants au monde.

La production de ciment est une des industries les plus polluantes au monde. Elle pèse près de 3% des émissions françaises de gaz à effet de serre et 8 % à l’échelle mondiale. Le ciment est aussi le matériau le plus utilisé au monde avec 15 milliards de mètres cubes de béton coulés chaque année.

Même si l’industrie cimentière française affirme avoir baissé ses émissions de 40% depuis les années 90, il n’en reste pas moins que pour 1 tonne de ciment, au mieux 650 kilos de CO2 sont émis. De plus, selon un récent rapport du groupe de réflexion The Shift Project, la décarbonation du ciment observée depuis 1990 est davantage liée à la baisse de sa consommation et de sa production qu’à la mise en œuvre d’actions volontaires.

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Si les aspects techniques du matériau ont su évoluer, sa formulation et sa production ont peu avancé dans les dernières décennies, restant encore très émissive.

Ingrédient essentiel du béton, le ciment qui est le liant chargé de coller entre eux les cailloux et le sable, a pour composant principal le clinker. Produit de la cuisson du calcaire et de l’argile dans un four rotatif chauffé à 1450 degrés, il faut beaucoup d’énergie pétro-sourcée, seule capable de monter à de telles températures pour le produire, libérant d’énormes quantités de dioxyde de carbone.

La production du ciment requiert des infrastructures lourdes et de gros investissements, aussi n’y a-t-il que peu d’acteurs dans cette filière.

Selon l’Insee, l’industrie du ciment, en France, reste très concentrée : 35 des 43 établissements producteurs de ciments répartis sur le territoire national appartiennent à 5 entreprises, qui détiennent environ 95 % du marché. Une concentration peu propice au changement et la France, second producteur européen de ciment, tarde à engager les innovations nécessaires en matière environnementale.

Pourtant, pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone, l’industrie cimentière va devoir mettre les bouchées doubles. Dans sa feuille de route, publiée l’année dernière, elle prévoit de baisser de 24% ses émissions en 2030, puis de 80% en 2050, par rapport à 2015.

Pour y parvenir, le secteur s’appuiera sur des leviers tels que la diminution de la teneur en clinker des ciments qu’elle produit, le remplacement des combustibles fossiles par des combustibles alternatifs comme les déchets et de la biomasse. Le secteur compte aussi beaucoup sur le déploiement de futures technologies de captage et de stockage du carbone.

Le secteur cimentier devra bien sûr également s’engager dans le recyclage du béton. Parce que la construction neuve génère d’importantes émissions carbone, rappelons que la nouvelle réglementation environnementale pour le bâtiment applicable depuis le 1er janvier 2022, la RE2020 s’attaque également aux émissions liées à sa construction, en particulier les matériaux, considérés dans tout leur cycle de vie.

Le rêve du "béton vert"

Dans les rayons de magasins de matériaux de construction, sur les chantiers publics menés par de gros industriels, sont apparus depuis quelques années les bétons dit "bas carbone" ou "béton vert".

Ces bétons sont réalisés avec l’ajout au ciment de déchets d’autres industries dont un co-produit de la sidérurgie, le laitier de haut-fourneaux, qui remplace une partie du clinker hautement émissif. Le laitier, une impureté du minerai de fer, aurait une empreinte carbone basse, 17 kg par tonne, soit 45 fois moins que le ciment traditionnel.

Révélée par le journal Les Echos, ce qui aurait pu être une bonne nouvelle pour l’environnement n’est en fait qu’un tour de passe-passe dû à l’imprécision de la norme NF 15 804 sur la contribution des ouvrages de construction au développement durable, qui ne prend pas en compte la part de CO2 émise par les hauts fourneaux. Une belle opération de "green washing", disent les experts qui ont enjoint le gouvernement de régler au plus vite ce vide juridique.

Une mise au point nécessaire pour ne pas jeter le discrédit sur de véritables innovations et permettre aux recherches en cours sur les bétons bas carbone de se poursuivre sur des bases plus saines, c’est-à-dire avec de réels impacts environnementaux, reconnus et validés.

Car il est encore difficile à ce jour de trouver la bonne formule pour un "béton vert". De nombreuses équipes de chercheurs et start up s’y essaient à travers le monde avec plus au moins de succès.

Un ciment d’argile crue sans cuisson

Dans cette course au "béton bas carbone", une jeune pousse française porte les espoirs de l’innovation tricolore. Materrup, créée en 2018 par Mathieu Neuville, docteur en physique des matériaux et liants est pionnière dans le ciment à base d’argile crue. Passé par les services Recherche et développement de Lafarge et Total, le jeune chef d’entreprise sait d’expérience qu’une transformation vertueuse de la production des matériaux de construction doit s’opérer au plus vite.

Mathieu Neuville, président et fondateur de Materrup
Mathieu Neuville, président et fondateur de Materrup
© Radio France - Annabelle Grelier

La technologie qu’il a mise au point appelée "Crosslinked clay ciment" consiste à incorporer jusqu’à 70% d’argile crue dans le ciment sans cuisson. Le reste de la formule se concentre sur les minéraux, assure sans plus de détails Mathieu Neuville, soucieux de protéger le secret industriel.

Nous valorisons l’argile, non calcinée. Elle est mélangée à un activateur et à un précurseur pour permettre la réaction à froid et apporter les propriétés mécaniques voulues.

Ce ciment réduit au moins de moitié les émissions de CO2 sans compromettre ni la performance, ni la qualité du béton. Jugée déjà disruptive, la technologie de Materrup peut encore être améliorée, estiment les fondateurs, qui dans leur laboratoire travaillent sur des formulations visant le zéro carbone.

Reportage dans l'usine inaugurée il y a peu à St-Geours-de-Maremne (Landes). Par Annabelle Grelier.

3 min

Essais et prototypes dans le "laboratoire béton" de Materrup à Saint Geours-de-Maremne
Essais et prototypes dans le "laboratoire béton" de Materrup à Saint Geours-de-Maremne
© Radio France - Annabelle Grelier

La recherche est d’ailleurs l’un des piliers de l’entreprise qui a participé à la création d’une nouvelle chaire industrielle au sein de l’Université de Pau et Pays de l’Adour à Anglet (en 2021). Cette chaire travaille sur les propriétés des nouvelles générations de béton en terme de confort hygrothermique et de qualité de l’air, de recyclabilité et de modélisation. Elle lance également des recherches sur des systèmes de construction mixte bétons d’argile et matériaux naturels comme la paille ou le chanvre et isolants biosourcés.

Materrup vient également de signer un partenariat exclusif avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Orléans dans la valorisation des terres d’excavation.

Produire local en circuit court

Retenue dans le programme GreenTech du ministère de l’Environnement en raison de l’impact environnemental de sa solution et de sa capacité à la déployer à grande échelle, Materrup a installé en début d’année son usine pilote à Saint Geours-de-Maremne dans les Landes.

Représentant un investissement de plus de 7 millions d’euros, la première cimenterie de Materrup équipée de panneaux solaires pour réduire l’impact des opérations de séchage est capable de produire 50 000 tonnes de ciment d’argile à partir de terres excavées et de carrières à proximité. En phase de commercialisation, elle propose déjà une large gamme de matériaux pour la construction et l’aménagement urbains : parpaings, dalles de parking ou encore bancs publics.

Dalles en béton d'argile permettant de créer des sols perméables aux eaux de pluies notamment pour les parkings, cheminements piéton ou espaces détente.
Dalles en béton d'argile permettant de créer des sols perméables aux eaux de pluies notamment pour les parkings, cheminements piéton ou espaces détente.
© Radio France - Annabelle Grelier

Avec 17 salariés et une dizaine de recrutements en cours, l’équipe de direction s’est étoffée. Rejoint dans l’aventure par son frère jumeau et son épouse, Julie et Charles Neuville pour la partie financière et son ami d’enfance Manuel Mercié, chimiste de formation, le fondateur de Materrup inscrit l’entreprise dans un développement en circuit court.

L’entreprise cherche à construire des usines à l’échelle locale, usant de l’argile présente sur place et distribuant sa solution dans un périmètre proche, explique Charles Neuville, le directeur financier.

"L’objectif est de développer dans les régions des petites cimenteries de 2 000 mètres carrés environ, avec pour avantage de pouvoir produire des matériaux à proximité des chantiers, et ainsi de limiter les coûts économique et écologique de leur transport".

Un projet de nouvelle usine pourrait d’ailleurs voir le jour l’année prochaine en région Nouvelle Aquitaine dans l’agglomération de Bordeaux pour produire des matériaux permettant à la fois de respecter le label "Bâtiment frugal bordelais" de la ville et son code architectural - la couleur ocre du calcaire des bâtiments.

Julie et Charles Neuville devant une dalle béton argile fraîche coulée dans leur site de production inaugurée en février 2022
Julie et Charles Neuville devant une dalle béton argile fraîche coulée dans leur site de production inaugurée en février 2022
© Radio France - Annabelle Grelier

Le béton traditionnel est gris et uniforme, bien souvent on cherche à le cacher avec du crépis ou des coffrages. Notre béton à base de ciment d’argile redonne des couleurs plus locales et traditionnelles respectant l’identité des régions. Granuleux ou lisse, ils sont beaux. Aux architectes de s’en emparer !

Materrup cible 3 segments de production. Le béton prêt à l’emploi qu’on coule dans les camions toupies. La préfabrication de parpaings, dalles ou encore escaliers fabriqués en usine et enfin les matériaux de second œuvre tels que l'enduit, le mortier et la colle, explique l’ingénieur et associé Manuel Mercié.

Avec Materrup, on bascule d’un ciment Portland conventionnel à des ciments sur mesure puisqu’on valorise des argiles spécifiques pour des usages spécifiques. Il ne s’agit pas de faire disparaître le béton conventionnel mais de le remplacer partout où il n’est pas nécessaire.

Avec sa structure familiale et son désir de devenir entreprise à mission, Materrup fait aujourd’hui figure de petit poucet dans cette filière de grands groupes cimentiers et géants de la construction. Son dynamisme et sa technologie attirent l’attention des gros acteurs du marché et parfois aussi, la convoitise. Avec la réglementation plus contraignante et l’augmentation des prix de l’énergie et du carbone, les lignes vont devoir bouger. Facilement et rapidement industrialisable, l’entreprise pourrait signer quelques partenariats tout en veillant à rester maîtresse de sa technologie protégée par quelques 35 brevets internationaux. Il faut bien ça quand on est la seule entreprise au monde à avoir la maîtrise des compositions de l'argile.