'Arrosia' : retour à la résine de pin comme alternative au plastique

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'Arrosia' : retour à la résine de pin comme alternative au plastique

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Echantillon de matériaux conçus à base de résine de pin Ecopin
Echantillon de matériaux conçus à base de résine de pin Ecopin
- Arrosia

Jeune entreprise installée à Anglet, Arrosia développe un produit à partir de la résine de pin capable de remplacer les polymères pétrochimiques tout en participant à la relance de la filière du gemmage en France.

Le gemmage est l'opération de récolte de la résine des pins maritimes. Une activité ancestrale que Grecs et Romains pratiquaient déjà pour extraire la gemme, ce cicatrisant naturel des arbres aux multiples usages, allant de la colle à la poix pour étancher les jarres, calfater les coques de navires ou encore conserver vins et aliments.

Constituée de molécules précieuses, la « gemme » de pin se compose de deux éléments principaux. Une partie solide, la colophane, qui est utilisée dans l'élaboration de cire ou encore de films alimentaires. Quant à l'oléorésine, elle se transforme, une fois distillée, en huile de térébenthine, aux vertus médicinales, désinfectant et expectorant mais aussi composant des vernis, solvants pour les peintures ou combustible.

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L'exploitation intensive de la résine de pin s'arrêtera souvent avec l'apparition de produits de la distillation charbon puis du pétrole. Pratiquée partout en Europe, le gemmage a été totalement abandonné  en France en 1990. Un arrêt décrété officiellement pour des raisons le plus souvent de rentabilité mais aussi de conflits sociaux entre gemmeurs et propriétaires forestiers, a laissé l'industrie dépendante à 90% des importations.

Le premier producteur mondial est la Chine. Cependant, depuis 2011, le pays ayant surexploité ses forêts a décidé de les protéger et de ne répondre qu'à sa demande intérieure. Le Brésil est désormais devenu le principal exportateur mondial. L'Espagne et le Portugal, seuls pays européens continuant à récolter la résine, ont une production certes marginale, mais en progression.

Dans un contexte de demande sociétale croissante en biomolécules, la France tente également depuis quelques années de relancer le gemmage et particulièrement dans le Sud Ouest.

Renouvelable et biosourcée

L'enjeu reste de relancer une activité abandonnée depuis 30 ans tout en exploitant différemment la forêt. Car les techniques de gemmage en recherche de rentabilité devenaient au fil des temps de moins en moins respectueuses de la nature.

La gemme, qui est un produit de cicatrisation que le pin élabore et tient en réserve dans ses canaux résinifères, et qu'il a la possibilité d'envoyer en réaction aux agressions : blessures, attaques d'insecte, est récoltée par ce qu'on appelle une saignée.

Après guerre, la pratique dite "américaine" pour augmenter les rendements s'est peu à peu répandue. Elle consistait à asperger d'acide sulfurique dans la plaie pour que l'arbre ne cicatrise jamais , ce qui n'a eu pour effet que d'être nocif pour les animaux, d'épuiser la ressource et de rendre la gemme de mauvaise qualité au profit de la quantité.

Le gemmage moderne s'oriente vers des techniques de récolte en vase clos, initiées il y a vingt ans par un ancien gemmeur Claude Courau qui a découvert que l'on pouvait extraire de la résine blanche beaucoup plus pure et de bien meilleure qualité à partir de piques réalisées mécaniquement avec une fraise ronde. La résine s'écoule dans un récipient en plastique ou en verre fixe à l'arbre. Après environ deux semaines d'écoulement, le gemmeur ouvre une nouvelle pique à proximité de la précédente.

Technique moderne de gemmage dit "en vase clos"
Technique moderne de gemmage dit "en vase clos"
- Arrosia

Depuis, toutes les initiatives de réexploitation de la résine intègrent la récolte d’une gemme pure, un traitement de l’arbre plus rationnel, un activant plus vertueux et une récolte simplifiée. La gemme, matière première renouvelable et biosourcée, est aujourd'hui considérée comme un projet socio-environnemental pour la région Nouvelle Aquitaine, qui reconstitue peu à peu une filière.  La relance de cette activité serait un moyen d'approvisionnement de résine écologique, permettant de contribuer à l'emploi rural, mais aussi à la prévention d'incendies dans les pinèdes.

Alternative à la pétrochimie

C'est dans la renaissance de cet écosystème que Camille Suarez, jeune titulaire d’un diplôme supérieur d’arts appliqués design, s'est insérée il y a maintenant cinq ans.

Camille Suarez, fondatrice d'Arrosia avec son équipe d'ingénieurs lors d'essais d'aggloméré de liège
Camille Suarez, fondatrice d'Arrosia avec son équipe d'ingénieurs lors d'essais d'aggloméré de liège
© Radio France - Annabelle Grelier

Son projet de fin d'étude portait sur la formulation d'un matériau biosourcé qui pourrait se substituer au plastique pour répondre au défi des enjeux climatiques. Et c'est sur la résine de pin maritime qu'elle jette son dévolu.

Je voulais m'engager pour la mise en valeur d'une matière en circuit court dans une démarche sobre. Cela voulait dire aussi se rapprocher du territoire et de voir comment travailler avec tous les acteurs de cette filière comme les gemmeurs, les propriétaires forestiers, les collectivités locales, les industriels ou encore l'ONF et la recherche.

Elle dépose un brevet en 2018 sur la formulation d'une nouvelle résine Ecopin et vient s'installée au technopôle Arkinova du Pays Basque à Anglet, où elle fonde en 2020 la société Arrosia. La jeune pousse veut proposer aux industriels une alternative aux résines d'origine pétrochimiques. "Notre métier c'est la valorisation des coproduits de l'agroforesterie. Aiguilles et pommes de pin, écorces et copeaux de bois ne sont plus des déchets mais nous les incorporons dans notre résine pour créer des matériaux 100% biosourcés et recyclables", explique-t-elle.

Le procédé qu'elle a mis au point avec son équipe d'ingénieurs vise à réduire au maximum son impact sur l'environnement. Et de préciser : "On récupère la résine de pin brut que l'on transforme grâce à notre procédé sans aucune chimie de synthèse. C'est une chimie douce qui permet de garder les molécules au plus proche de ce qu'elles sont à l'état naturel pour un matériau le plus neutre possible et totalement biodégradable".

Créer des matériaux 100% biosourcés et recyclable avec tous les coproduits de l'agroforesterie. Reportage à Anglet signé Annabelle Grelier

3 min

Ces matériaux, compatibles avec l'injection et la thermocompression, s'adaptent à de multiples usages dans les secteurs de l'ameublement, l'agencement, le packaging, l'emballage ou encore les loisirs.

L'équipe des designers d'Arrosia en pleine session de conception de produits
L'équipe des designers d'Arrosia en pleine session de conception de produits
- Arrosia

A la fois fournisseur de matériaux et bureau d'étude, Arrosia, en à peine deux ans d'existence, a su attirer de nombreux clients, plus d'un millier dans toute l'Europe.

La résine Ecopin se retrouve aujourd'hui dans des semelles de chaussures, des tapis de yoga, des revêtements de murs, des nappes, des montures de lunettes énumère Camille Suarez qui avoue qu'elle ne s'attendait pas à une commercialisation aussi rapide.

La demande est bien plus forte que notre potentiel de production, nous allons devoir changer d'échelle mais nous voulons rester dans un développement raisonné et une démarche sobre.

Pour se procurer sa matière première, Arrosia travaille avec le laboratoire BioGemm, installé dans les Landes. Pour sa transformation, elle collabore aussi avec le laboratoire Xylomat, à Mont-de-Marsan, créé par l’université de Pau et des Pays de l’Adour.

Un matériau compatible avec l'injection et la thermocompression s'adapte à de nombreux usages
Un matériau compatible avec l'injection et la thermocompression s'adapte à de nombreux usages
- Arrosia

Arrosia emploie 7 salariés avec 5 recrutements en cours, la jeune pousse monte en puissance. En phase d'industrialisation, il lui faudra trouver de nouveaux investissements pour sécuriser sa chaîne de production. La jeune chef d'entreprise envisage une nouvelle levée de fonds d'ici deux ans avec pour objectif de produire une centaine de tonnes de sa résine.

Ayant récemment été validé pour le contact alimentaire et quasiment recyclable à l'infini sans perte de propriété mécanique, ce nouveau matériau à base de résine de pin maritime a sans aucun doute un bel avenir devant lui.

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