Comment éviter une crise alimentaire mondiale ?

À Ghaziabad, en Inde, le 17 mai 2022, alors que le pays vient d'annoncer la décision d'interdiction d'exportation de blé. ©AFP - PRAKASH SINGH
À Ghaziabad, en Inde, le 17 mai 2022, alors que le pays vient d'annoncer la décision d'interdiction d'exportation de blé. ©AFP - PRAKASH SINGH
À Ghaziabad, en Inde, le 17 mai 2022, alors que le pays vient d'annoncer la décision d'interdiction d'exportation de blé. ©AFP - PRAKASH SINGH
Publicité

Face à une crise marquée par la guerre et par le réchauffement climatique, l’Inde a mis un terme à ses exportations de blé. Or, ces réflexes de repli risquent d’aggraver la situation. Des mesures collectives, d’urgence et de long terme, en accord avec un modèle durable, sont-elles envisageables ?

Avec
  • Pierre-Marie Aubert Ingénieur agronome, directeur du programme Politiques agricoles et alimentaires à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI)
  • Matthieu Couttenier Professeur d'économie à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon
  • Marion Jansen Directrice du département commerce et agriculture à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

La peur de voir se reproduire une crise majeure et des émeutes de la faim, comme celles qui s’étaient déclenchées en 2008 à l’occasion de la crise financière, a gagné récemment les autorités mondiales chargées de l’alimentation. En effet, la guerre en Ukraine, et les difficultés d’exportation des céréales depuis la mer Noire, n’ont fait qu’aggraver une situation déjà tendue en début d’année dans les pays du Maghreb, d’Afrique mais aussi en Inde. L’Inde, deuxième producteur mondial de blé, vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle renonçait à en exporter afin de privilégier son marché intérieur. De quoi la guerre en Ukraine est-elle le révélateur ? Le système alimentaire mondialisé et les modèles agricoles en cours doivent-ils être réformés pour éviter de nouvelles explosions de colère ?

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Pierre-Marie Aubert, chercheur en politiques agricoles et alimentaires à l'IDDRI-Sciences Po, Matthieu Couttenier, professeur d'économie à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon et Marion Jansen, directrice du département commerce et agriculture à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Publicité

Pierre-Marie Aubert met en lumière les différents piliers qui constituent la sécurité alimentaire, et les enjeux urgents auxquels nous sommes confronté.es aujourd'hui, pour pouvoir ralentir les crises alimentaires :  "Aujourd'hui, c'est à la fois la disponibilité physique, dans certains pays dépendants de l'Ukraine et l'accessibilité prix qui sont mises en cause, puisque les indices de prix à la consommation ont augmenté de manière structurelle bien avant l'invasion, et n'a fait que s'amplifier. (...) On a une vraie difficulté à connaître l'état des stocks, ce qui permet de calmer les spéculateurs sur les marchés. (...) Il faut décider ensemble de la meilleure manière d'approvisionner, de fournir une alimentation à toutes et tous. (...) Dans la majorité des situations d'insécurité alimentaire, la difficulté c'est la question de l'accès. Il faut donc réguler les prix. (...) L'Europe doit réallouer une partie de sa production à d'autres usages que ceux qu'elle en fait aujourd'hui."

Matthieu Couttenier note l'importance des aides entre les pays, et de la nécessité d'une coordination internationale proposant des solutions à long terme :"Une aide des pays les plus riches vers les pays les moins riches est nécessaire. (...) Il faut multiplier les outils pour faire en sorte que cette crise alimentaire soit atténuée. (...) Il y a une nécessité de coordination mondiale sur les initiatives. (...) Ces augmentations des prix va venir augmenter la conflictualité, et va être un terrain propice au développement d'un certain nombre de groupes armés. (...) Il faut penser le long terme à travers la crise qu'on connaît actuellement."

Marion Jansen explique les dispositifs mis en oeuvre par l'OCDE, et l'importance d'utiliser l'information disponible, pour pouvoir importer ou exporter dans le cadre d'une agriculture durable : "Notre appel est pour un appel au calme du marché. (...) On n'utilise pas assez l'information disponible, il faut baser les actions dans les marchés agricoles sur la base de cette information. (...) Il faudrait arriver au niveau du G20 à se mettre d'accord sur l'utilité de ne pas utiliser les restrictions aux exportations. (...) La possibilité de pouvoir importer ou exporter n'est pas une mauvaise chose, il ne faut pas perdre cela. (...) À l'OCDE, nous souhaiterions que le soutien au secteur agricole permette une agriculture plus durable. (...) La diversification est un ingrédient clé pour la résilience pour l'avenir proche et lointain."

L'équipe