Un ventre au service de la nation : épisode • 1/3 du podcast Une économie de l'utérus

Du XIXe au XXe siècle, le ventre des femmes n'a cessé d'être la cible des politiques natalistes ©Getty - Jerome Descourtis / EyeEm
Du XIXe au XXe siècle, le ventre des femmes n'a cessé d'être la cible des politiques natalistes ©Getty - Jerome Descourtis / EyeEm
Du XIXe au XXe siècle, le ventre des femmes n'a cessé d'être la cible des politiques natalistes ©Getty - Jerome Descourtis / EyeEm
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Au XIXe siècle, la natalité française régresse alors que celle de ses voisins européens, notamment allemands, croît. C'est le début d'une crainte de la dénatalité, bientôt qualifiée de "fléau" par les natalistes, qui s'opposent à l'avortement et à la contraception prônés par les néo-malthusiens.

Avec Eric Hello, docteur en histoire et en philosophie des sciences, chargé de cours à l’Université de Bordeaux, membre du laboratoire SPH (Sciences, Philiosophie, Humanités) et Fabrice Cahen, historien, chercheur à l'Institut national d'études démographiques et spécialiste de l’histoire de la fécondité et des politiques natalistes.

Une généralisation de l'avortement au XIXe siècle

Au XIXe siècle, l’avortement se généralise, bien qu’il soit difficile de le mesurer. Les méthodes sont devenues plus fiables et la demande est plus grande.  "On passe progressivement des breuvages qui peuvent d'ailleurs toujours être utilisés en première intention, à des méthodes qui sont des dérivés de l'obstétrique et de la chirurgie. Le curetage a avant tout un rôle thérapeutique, notamment dans les situations de rétention placentaire. Mais la grande technique qui va d'une certaine manière révolutionner la pratique de l'avortement et contribuer à sa massification, c'est l'injection intra utérine ainsi que d'autres techniques nouvelles comme la déchirure de la membrane de l'œuf par exemple" explique Fabrice Cahen.

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De plus, les pouvoirs politiques sont frileux quant à émettre des condamnations. Avant la Belle époque, c’est la situation de la “prohibition souple". Certes, il existe des lois qui vont à l'encontre de l'avortement mais elles sont peu appliquées. Pour Fabrice Cahen, "ce qui se passe, c'est qu'il y a à la fois une volonté des pouvoirs publics, révolutionnaires et post-révolutionnaires de refonder une société sur des fondements moraux, ce qu'on appelle à l'époque la morale publique. Et en même temps, il est absolument évident, notamment au vu de l'activité des tribunaux, qu'on ne peut incriminer trop durement les femmes qui subissent des avortements ou qui se les auto-infligent, puisqu'il y a une certaine forme d'indulgence à l'égard de cette personne qui est vu comme la victime".

Les néo-malthusiens et la limitation des naissances

Alors que la France connaît une forte baisse de sa natalité et ce depuis la fin du XVIIIe siècle, chez le voisin britannique, l’augmentation de la natalité est perçue d’un mauvais œil d’un point de vue économique. Ces théories ne vont d’ailleurs pas tarder à s’infiltrer dans l’hexagone, terrain déjà conquis à des pratiques néo-malthusiennes et tourné vers une volonté de contrôler les naissances. "Malthus a effectivement une approche très pragmatique de la question économique en disant qu'il est très important de proportionner la démographie aux ressources disponibles" estime Eric Hello. "L'action fondamentale des néo-malthusiens consiste à prévenir les naissances non désirées pour éviter d'avoir recours à l'avortementPour eux, quand on est dans une politique nataliste non contrôlée, on a besoin de plus de territoire et de plus de ressources et donc on fait la guerre. Finalement, priver la bourgeoisie d'enfants qui ne sont destinés qu'à être sacrifiés soit dans l'usine, soit à la guerre, c'est à la fois du bon sens et éthique."

Des politiques natalistes de plus en plus répressives

Si le mouvement néo-malthusien accélère des pratiques déjà existantes de contrôle des naissances, un autre mouvement va s’ériger en opposition : celui des natalistes. Un mouvement qui fera quasiment consensus chez la classe politique alors que la saignée de la Grande Guerre va aggraver un peu plus la dépopulation française. C’est désormais l’utérus des femmes qui est directement visé par des politiques publiques de plus en plus coercitives. "Jacques Bertillon créé l'Alliance nationale de contrôle des populations en réaction au mouvement des néo-malthusiens. Cette organisation est extrêmement puissante, notamment par son nombre de membres, par la mise en place de sections sur l'ensemble du territoire et par ses contacts progressifs avec le Parlement, l'Etat, etc. Cette organisation joue à la fois comme un groupe de pression, comme un think tank qui diffuse habilement, des slogans, des images de propagande, mais aussi des argumentaires un peu plus sophistiqués. Et tout ça va porter ses fruits, surtout après la Première Guerre mondiale" indique Fabrice Cahen.

Références sonores

  • Lecture d’un extrait d'Une affaire de "faiseuses d'anges" à la fin du XIXe siècle de René Le Mée par Tiphaine de Rocquigny, musique "Poa Alpina" de Biosphere
  • Extrait de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
  • Lecture de Fécondité d’Emile Zola par Tiphaine de Rocquigny, musique "Daphnis 26" de Biosphere
  • Lecture de textes du chef de file des néo-malthusiens, Paul Robin, lu par Alain Rimoux, sur France Culture, le 13 août 1988
  • Extrait d'Une affaire de femmes de Claude Chabrol

Références musicales

  • Mon corps est à moi” chanté par Valérie Mairesse et Orchidée dans le film L'une chante l'autre pas d’Agnès Varda
  • " La notte" de Tropical Horses
Les Nuits de France Culture
44 min

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