Tirailleurs sénégalais, les colonies au service de la France : épisode • 3/3 du podcast Écrire l’histoire de l’Afrique

Photo prise le 4 décembre 1939, elle montre des tirailleurs sénégalais à l'instruction dans un camp d'entraînement dans les colonies françaises en Afrique ©AFP - Photographe inconnu / ARCHIVES
Photo prise le 4 décembre 1939, elle montre des tirailleurs sénégalais à l'instruction dans un camp d'entraînement dans les colonies françaises en Afrique ©AFP - Photographe inconnu / ARCHIVES
Photo prise le 4 décembre 1939, elle montre des tirailleurs sénégalais à l'instruction dans un camp d'entraînement dans les colonies françaises en Afrique ©AFP - Photographe inconnu / ARCHIVES
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Le décret du 21 juillet 1857 signé par Napoléon III marque la création du corps des tirailleurs sénégalais. Incités ou contraints de s'enrôler, quelle place occupaient-ils dans l'armée coloniale ? Comment retracer leur expérience quotidienne, tant sur le continent africain qu'européen ?

Avec
  • Anthony Guyon Historien, enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste d'histoire militaire et des sociétés coloniales à l'époque contemporaine

Le 21 juillet 1857, l’empereur Napoléon III se trouve à Plombière, pour une cure. Ah, Plombière ! Les Vosges, les beaux paysages, la ville d’eau, et sa glace, avec des fruits confits et du kirsch. Il signe un décret : "Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d’État au Département de Marine et des Colonies, le Conseil d’Amirauté entendu, avons décrété et décrétons ce qui suit : il sera formé au Sénégal un corps d’infanterie indigène sous la dénomination de tirailleurs sénégalais. Ce corps, composé de quatre compagnies ayant chacune trois officiers, sera commandé par un chef de bataillon."

Qui sont les tirailleurs sénégalais ? Viennent-ils tous du Sénégal ? Quelle place occupent-ils dans les mémoires des pays africains ?

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Qui sont les tirailleurs sénégalais ?

Créé en 1857 par un décret impérial, le corps des tirailleurs sénégalais recrute des combattants subsahariens pour faciliter l’implantation française en Afrique et participer à l’expansion de son empire colonial. Le terme "sénégalais" cache une toute autre réalité : les soldats sont originaires de diverses régions d’Afrique et parlent souvent des langues différentes.

"La spécificité des tirailleurs sénégalais, c'est que ce sont des fantassins à toutes les guerres. On estime que le tirailleur n'est pas assez habile, n'est pas assez intelligent pour passer à l'artillerie, on privilégie les Indochinois. Je crois que la spécificité des tirailleurs sénégalais, au-delà des ces deux termes qui ne recouvre pas la totalité de leur réalité, c'est vraiment qu'ils sont au cœur du combat, ils sont toujours dans les premières lignes", nous explique l'historien Anthony Guyon.

D’abord troupe d’appui ou d’appoint, le corps des tirailleurs sénégalais se transforme en force combattante à part entière, dont les soldats sont reconnaissables à leur chéchia rouge, emprunté aux tirailleurs algériens.

L'arrivée des tirailleurs sénégalais en France

Uniques soldats subsahariens à avoir combattu sur le sol européen lors des deux conflits mondiaux – les Britanniques et Allemands y étaient opposés – leur histoire est souvent relatée par le biais de grands événements sur les champs de bataille. Cependant, reconstruire l’histoire intime et banale des tirailleurs sénégalais permet de dresser le portrait des relations complexes qu’ont entretenues les territoires africains colonisés avec l’autorité métropolitaine.

"Au moment de la Première Guerre mondiale, les questions du recrutement se mettent en place, 200 000 tirailleurs sénégalais vont participer à plusieurs combats. On observe pendant la Première Guerre mondiale un distinguo entre les autres puissances européennes qui utilisent tous des troupes coloniales et les Français qui sont les seuls à amener en Europe des soldats noirs", explique encore Anthony Guyon.

"Pendant l'entre deux guerres,  8 à 12 000 hommes sont recrutés par an et on réfléchit un peu mieux à la formation. La formation militaire sera toujours assez médiocre. La formation intellectuelle est aussi présente. Il existe des cours de français et même des cours d'histoire. Ces cours donnent une certaine vision de l'Afrique : une Afrique pleine de ressources, inutilisées par les Africains à cause des guerres intestines.  Heureusement, les Français sont arrivés, ils ont mis fin aux guerres, ils ont aidé à exploiter les ressources. C'est la même chose avec l'instruction civique. On explique aux tirailleurs sénégalais que la France est une terre de liberté, d'égalité, alors qu'on ne le permet pas en Afrique. Il existe tous ces débats, dont sont parfaitement conscients les cadres de l'État major qui y réfléchissent. Jusqu'où doit-on enseigner les valeurs françaises avant que les tirailleurs sénégalais ne les retournent contre nous ? Et dès la Première Guerre mondiale, on a évidemment des Africains qui énoncent certaines contradictions", nous dit Anthony Guyon.

Dès lors, qu’en est-il de l'expérience quotidienne des tirailleurs sénégalais ? Quels liens ont-ils pu maintenir avec leur famille ? Comment ont-ils vécu le déracinement pendant les années de guerre en Europe et le retour au pays ? Quelle place occupent-ils aujourd’hui dans les mémoires des pays africains ?

Pour en parler

Anthony Guyon est historien, enseignant en lycée et à Sciences Po Paris. Il est spécialiste d'histoire militaire et des sociétés coloniales à l'époque contemporaine. Il a publié  Les Tirailleurs sénégalais : de l'indigène au soldat, de 1857 à nos jours (Perrin, 2022).

Sons diffusés dans l'émission

  • Extrait du documentaire intitulé "L'Afrique noire d'expression française" diffusé sur RTF le 9 janvier 1962
  • Archive sur le général français Charles Mangin présenté par Pierre Bourget dans l'émission Panorama diffusée sur RTF le 11 novembre 1966
  • Archive sur d'anciens tirailleurs sénégalais interrogés pour le centenaire des tirailleurs sénégalais diffusée sur RDF le 15 juillet 1957
  • Extrait du discours de Felix Eboue, Gouverneur général de l'Afrique-Équatoriale française pour les populations de l'AEF diffusé sur RDN le 20 mai 1942
  • Lecture de Léopold Sédar Senghor d'un poème écrit le jour du massacre de Thiaroye diffusée sur France 3 le 20 novembre 1996

Générique de l'émission : Origami de Rone

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