Olivier Py : "Il faut que les artistes continuent de diriger la vie artistique"

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Olivier Py : "Il faut que les artistes continuent de diriger la vie artistique"

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Dramaturge, metteur en scène, acteur, poète, Olivier Py dirige le Festival d'Avignon depuis 2013. Tiago Rodrigues le remplacera à partir de cet automne.
Dramaturge, metteur en scène, acteur, poète, Olivier Py dirige le Festival d'Avignon depuis 2013. Tiago Rodrigues le remplacera à partir de cet automne.
© Radio France - Benoît Grossin

Le monde du théâtre se retrouve à Avignon pour son grand rendez-vous annuel jusqu'au 26 juillet. Une fête du théâtre pour oublier une saison morose et la dernière d'Olivier Py en tant que directeur, qui nous a confié son regard sur cette 76e édition et sur celles qu'il a orchestrées.

Le grand rendez-vous estival du spectacle vivant, l’un des plus importants au monde - le festival d’Avignon - ouvre ses portes au public ce jeudi. Trois semaines de représentations, par centaines, pour le "in" et le "off", dans un contexte de forte remontée des cas de Covid partout en France. Mais l'envie de fête, de découverte et de partage est bien là. Le festival alternatif, le "off", a par exemple renoué hier soir avec sa traditionnelle parade d’ouverture, qui n’avait pas eu lieu depuis 2019.

Depuis 2013 et sa nomination à la tête d'Avignon, Olivier Py tient beaucoup à cette fête du théâtre et à faire du festival officiel davantage qu'une image du monde. Avant de passer la main à Tiago Rodrigues, il évoque cette édition 2022 et les précédentes.

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Que représente pour vous ce 76ᵉ Festival d'Avignon, votre dernier festival en tant que directeur ?

Merci de dire en tant que directeur, parce que je ne compte pas du tout abandonner ma vie de festivalier. J'aurai l'année prochaine l'immense bonheur d'être un simple spectateur du festival. Cela sera une très, très grande jouissance.

Ce dernier festival est comme un feu d'artifice. Mais j'aurais voulu que ce ne soit pas un bilan, un regard en arrière ou une récapitulation. Pas du tout. J'ai essayé de le vivre dans une sorte de déni, comme s'il y en avait un autre après, et de le faire comme les autres festivals, avec l'amour de l'art et du public. Cela veut dire inviter les artistes qu'il faut inviter au festival, promouvoir bien sûr l'émergence, faire un festival paritaire, faire un festival qui témoigne du théâtre partout dans le monde et le festival d'Avignon est allé dans des continents qu'il n'avait encore jamais explorés. Continuer à se battre et à faire un festival militant pour que le festival ne soit pas seulement une liste de spectacles, mais aussi un lieu où l'on exprime une certaine espérance, une volonté de vivre mieux ensemble. Tout cela, c'est le festival tel qu'il est, tel qu'il a été toujours et tel qu'il sera sans doute demain. Mais cela exige qu'une grande équipe se batte au quotidien pour le faire exister.

C'est important pour vous d'être présent en tant que metteur en scène et comédien ?

C'est ma vie. J'ai passé ma vie à diriger des théâtres et à faire du théâtre et à aller d'une répétition à une réunion syndicale. C'est ma vie depuis trente ans. On continue de me dire que ce n'est pas possible. Je continue à prouver que ce n'est pas tout à fait impossible. J'ai fait comme j'ai pu, mais je crois qu'il faut que les artistes continuent de diriger la vie artistique. C'est très, très fondamental. Quand nous ne serons plus qu'une vie culturelle technocratique, nous aurons sans aucun doute perdu quelque chose et certainement perdu un certain lien avec le public.

"Il était une fois", c'est la formule de cette ultime édition sous votre direction.

Oui, c'est bien de partir en disant "Il était une fois". Il faut être ouvert sur ce qui vient parce qu'on ne sait pas ce qui vient. Il y a beaucoup de prophètes d'apocalypse en ce moment. Alors peut-être que les artistes cette année, s'ils donnent une image du monde très sombre, parce qu'il est sombre, en même temps, nous apprennent à espérer.

"Il était une fois", nous avons besoin de récit. On voit que le narratif est une chose extrêmement importante. Une guerre a lieu en ce moment en Europe qui est aussi une guerre entre deux narratifs différents, une guerre où, ceux qui pensent le monde multiculturel se battent contre les nationalismes. Tout cela, le festival en témoigne.

La place des femmes, les guerres, les réfugiés en sont les grandes thématiques.

Mais donnez-moi un autre monde, je vous ferai un autre festival. Le festival s'efforce d'être une image du monde. C'est peut-être un peu plus qu'une image du monde, parce que l'image du monde telle qu'on la voit dans les médias, au fond, elle nous décourage presque de nous engager, tant elle est désespérante. Tandis que ce qui se passe au festival, c'est une communauté d'esprit, une utopie, mon Dieu assez modestement malgré tout, pendant un peu plus de quinze jours, presque trois semaines. On se réunit et on essaie de mettre ensemble tout ce qui fait qu'on peut promettre à la génération qui vient un monde moins pourri que ce que on lui a laissé. C'est aussi un festival tourné vers la jeunesse.

La Russie, avec l'adaptation d'une pièce de Tchekhov par Kirill Serebrennikov à l'ouverture, l'Ukraine avec les artistes punks Dakh Daughters à vos côtés en clôture, il était important d'embrasser les deux cultures ?

Ce n'était pas prémédité, évidemment, puisque j'avais programmé Kirill Serebrennikov il y a deux ans. À l'époque, il était encore en résidence surveillée parce que sa position d'opposant à Poutine lui a donné bien des soucis, bien des déboires et qu'on a intrigué contre lui un procès ubuesque. Donc je n'espérais même pas qu'il soit présent. C'est un metteur en scène immense, un très, très grand artiste. Il est venu quatre fois au Festival d'Avignon et je me disais que faire mon dernier festival avec lui, dans la cour, serait une immense joie et un très grand privilège.

En revanche, c'est vrai, ce conflit nous a pris de plein fouet et assez tard pour nous dans la programmation, c'est-à-dire au mois de février-mars. On s'est dit il n'est pas possible qu'il n'y ait pas des Ukrainiens, encore mieux des Ukrainiennes présentes au Festival d'Avignon. Il restait un plateau à pouvoir rouvrir. C'est celui que je vais partager avec elles dans la dernière journée du festival. Il s'agira d'un concert avec les Dakh Daughters, qui sont des sortes de punk absolument incroyables, aussi d'un courage inouï. Le festival, bien sûr, pendant toute sa durée, vibrera en pensant à l'Ukraine. Il y aura un très grand nombre de débats, de prises de parole, et je suis certain que, comme toujours, le monde va s'inviter au festival. Parce que, oui, le festival est une image du monde.

Olivier Py à Avignon en ce début juillet 2022.
Olivier Py à Avignon en ce début juillet 2022.
© Radio France - Benoît Grossin

Parce que c'est aussi le festival des rencontres, des débats, des conférences, il sera question de l'Ukraine dans ces endroits là ?

Oui. De l'endroit où je vous parle, par la fenêtre, on peut voir s'installer l'atelier de la pensée. Tous les jours, toute la journée et même quelquefois tard dans la nuit, il y a au festival des rencontres. Jean Vilar voulait débaptiser le festival et l'appeler Rencontres. Ce n'était pas très, très bon sur le plan de la communication, parce que l'on est attaché au mot de festival. Et puis il y a la note estivale dans festival, donc aussi celle du plaisir et de la fête. Mais les rencontres sont très importantes. Nous sommes là d'abord pour nous rencontrer nous mêmes, ensuite pour rencontrer ses contemporains, et pas que pour se prendre la tête. Attention, le festival doit rester une fête. C'est très, très important.

Ce sera aussi le moment d'une forme d'hommage à Peter Brook ?

Certainement. Sa disparition nous a secoués à quelques jours de l'ouverture du festival. Il est une légende du festival, notamment avec le Mahâbhârata qu'il avait créé à la Carrière de Boulbon. C'est lui qui a, pour la première fois, imaginé qu'on pouvait demander au public de rester au théâtre pendant plus de dix heures. Et c'est devenu une tradition au festival puisque cette année, il y a deux longs spectacles, dont celui de Monsieur Falguière, qui dure plus de 13 h.

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Des épopées, et vous en faites une vous-même.

Oui. Simon Falguière, Olivier Py. On ne pourra pas voir mutuellement nos spectacles, malheureusement, parce qu'ils durent un peu plus de dix heures chacun. Mais les festivaliers sont heureux de se jeter dans ces aventures héroïques car elles le sont, y compris pour les spectateurs. Ce qui fait la force du festival, c'est toujours son public. Ce qui lui donne sa légitimité, c'est son public. Ce qui fait que, bon an mal an, les politiques ne peuvent pas trop raboter sur l'importance des festivals, notamment budgétaires, c'est parce qu'il y a un public. Un public qui est toujours là, toujours présent. Dans un moment où le public a déserté, malheureusement, les théâtres et les cinémas, au festival, cela reste le beau fixe sur le thermomètre de la billetterie.

Autant que l'an dernier, autant qu'en 2019 ?

Nous avons exactement les mêmes chiffres, à ce jour. L'an dernier, nous avons eu des problèmes parce que des jauges se sont rouvertes à mi-festival à cause des protocoles Covid qui ont bougé pendant le mois de juillet. J'espère que cette année, on aura plus de stabilité. Il faut rendre un très grand hommage au public. C'est le public qui fait le festival.

Nous pouvons voir aujourd'hui à la billetterie ce que nous avons à cette heure-ci. Mais le fonctionnement d'une billetterie est très compliqué, parce que c'est mouvant et notamment il est très important pour nous de contingenter, de garder des places, de ne pas les mettre à la vente pour les tarifs réduits. Parce que je rappelle que ceux qui ont moins de 25 ans paient 10 euros au festival.

On me demande quelle est la définition du théâtre populaire. C'est assez simple. Vous allez voir une pièce de Kirill Serebrennikov, un grand Tchekhov, vous allez voir un grand Shakespeare et vous avez moins de 25 ans et cela coûte 10 euros. Je n'ai pas besoin d'autre définition. C'est le théâtre populaire, surtout quand le foot peut coûter 350 euros ou un concert de Lady Gaga, 400 euros Le théâtre populaire, c'est tout simplement ça. C'est que l'exigence artistique, culturelle, intellectuelle, la fête de la pensée et la fête spectaculaire aussi, la fête tout court, elle peut coûter 10 euros quand on a moins de 25 ans. Parce que la République s'engage et subventionne d'abord le spectateur.

Cela fait partie de votre bilan, en tout cas de ce que vous avez tenté de construire pendant vos deux mandats ?

Je ne ferai pas le bilan et beaucoup se chargeront d'ailleurs de le faire. Mais j'espère qu'ils n'oublieront pas cela. Oui, la dimension de démocratisation culturelle qui ne se joue pas que sur la question tarifaire. Toute l'année, le Festival d'Avignon est à Avignon, c'est-à-dire qu'il fait un travail local, territorial, qu'il rencontre les écoles, les collèges et les lycées, les associations, les banlieues et même les prisons. Le festival a été beaucoup plus présent à Avignon que jamais et comme ça, il crée ce public militant dont nous avons tant besoin et qui comprend que le théâtre est un service public et que service public veut dire Culture.

Ce bilan, selon vous, comment peut-il être fructifié ou accompagné par la suite ?

Oh, je pense que mon successeur, Tiago Rodrigues, que j'accueille avec une très, très grande joie et qui travaille de concert avec moi pendant tout ce festival pour préparer déjà son prochain, aura à charge d'hériter de la dimension politique, sociale et sociétale du festival dans un monde qui a changé très vite. On a numérisé les billets, il y a ne serait ce que dix ans, c'était un autre monde. Il aura un monde mondialisé, mais un monde toujours plus violent. Il aura un monde qui se paupérise aussi énormément. Atteindre les classes populaires est donc toujours plus difficile. Il aura un très grand combat à mener. Je serai dans l'ombre, bien sûr, mais je serai toujours là pour défendre le festival.

Un festival populaire, politique et international. Il y a toujours cette dimension importante.

Oui, c'est arrivé à peu près dans les années 70. Mais Jean Vilar le voulait absolument. Le festival rayonne à travers le monde. La ville d'Avignon rayonne à travers le monde parce qu'elle a son festival. Économiquement aussi, le territoire vit grâce à ce festival et c'est pratiquement 100 millions d'euros qui reviennent chaque année dans la cagnotte du territoire grâce à ce festival. Je suis toujours un peu surpris de voir la proportion des subventions, qui ne me semblent pas à la hauteur des gains. Un pays comme celui là, un pays au sens provençal et au sens ancien, aurait déjà été totalement remporté par le Rassemblement national s'il n'y avait pas eu la force de la culture.

Une force internationale aussi dans le contenu.

C'est important dans le contenu. Non seulement parce que nous invitons pratiquement la moitié d'artistes qui viennent de tous les points du globe. Mais aussi parce qu'à l'intérieur des spectacles, même français, il y a une volonté de s'intéresser à des auteurs qui ne sont pas français et à des thématiques qui ne sont pas franco françaises. Je pense que tout de même, art national ou culture nationale, c'est un oxymore. Cela ne veut vraiment rien dire. La culture digne de ce nom est multiculturelle, elle est la passion de l'autre. S'il n'y a pas cette passion de l'autre, il n'y a pas de véritable culture. Il existe des codes d'inclusion et quelquefois des codes d'exclusion. Ce n'est pas ce qu'est le festival. Le festival est tout le contraire, c'est la bienvenue à l'étranger. C'est l'idée que nous ne pouvons nous sauver que par la parole de l'étranger.

Avec une notion de parité omniprésente.

Nous y sommes arrivés, non sans quelque discrimination positive. Lentement, puisque mes premiers festivals n'étaient pas paritaires. Enfin, depuis deux éditions, ils le sont. C'est un travail constant et vraiment merci aux équipes qui ont pu réaliser cela avec moi, qui ont pu prospecter pour trouver des artistes femmes, des porteuses de projets partout dans le monde qui témoignent qu'une programmation paritaire est possible.

Et c'est ce qui doit être poursuivi ?

Je n'ai pas de leçons à donner à mon successeur, mais je connais sa valeur, son souci du monde et des valeurs démocratiques. Donc j'ai grand espoir un très beau festival.

Enfin, il y a pour le festival d'Avignon cette dimension RSE, de respect du climat. Est-ce aussi un point important pour vous ? N'y a-t-il pas trop de spectacles, y compris dans le "in" ?

Nous avons fait notre révolution verte en quatorze. Nous avons mis en place un nombre extravagant de choses pour que le festival aille vers une véritable révolution écologique. Non, il n'y a pas trop de spectacles, il y en a une cinquantaine, c'est peu. Il y en a plus de 1 500 dans le "off". Le festival ne fait plus de papier, le festival est surtout dans les transports et est beaucoup plus vert qu'il ne l'a jamais été. Le festival a mis en place des chartes avec l'ensemble des entreprises avec lesquelles il travaille pour que, scrupuleusement, il n'y ait plus le moindre objet plastique ici ou là. Le festival doit aller toujours vers plus de vert, et notamment dans la consommation énergétique. Il reste la révolution du LED à mettre en place, c'est progressif, mais la révolution verte a eu lieu.