La révolution éco-féministe : épisode • 3 du podcast Thomas Sankara, l'homme qui allait changer l'Afrique

Des femmes burkinabées s'apprêtent à défiler le 4 août 1985, pour célébrer le deuxième anniversaire de la révolution sankarienne ©AFP - Daniel Laine
Des femmes burkinabées s'apprêtent à défiler le 4 août 1985, pour célébrer le deuxième anniversaire de la révolution sankarienne ©AFP - Daniel Laine
Des femmes burkinabées s'apprêtent à défiler le 4 août 1985, pour célébrer le deuxième anniversaire de la révolution sankarienne ©AFP - Daniel Laine
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Le 4 août 1983, Thomas Sankara opère un coup d’État qui fait basculer le Burkina Faso dans une nouvelle ère. Cette prise de pouvoir s'accompagne d'un émancipation et d'une révolution féministe, écologique et institutionnelle. Ce modèle de réussite subjugue autant qu'il déstabilise.

Dans la hiérarchie des coups d’États du XXe siècle, celui de Thomas Sankara occupe une place modeste. Il fait cinq morts, dont deux civils. C'est parce qu'à Ouagadougou, les choses ont été parfaitement préparées. Les capitaines Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo, et le commandant Jean-Baptiste Lingani sont les hommes forts de l'opération. Ils ont à leurs côtés les deux partis révolutionnaires influents de la capitale : l’Union des Communistes Voltaïque, de tendance maoïste, et le Parti de l’Indépendance Africaine, devenu plus tiers-mondiste que véritablement léniniste. Les militaires partagent avec eux les postes gouvernementaux.

Preuve qu’il ne s’agit pas d’un gouvernement de transition, Thomas Sankara présente un embryon de Constitution, avec deux instances essentielles : un Conseil National de la Révolution (C.N.R.), sorte de parlement qui réunit toutes les fractions progressistes de l’armée et de la société civile, et un réseau qui se substitue à l’organisation préfectorale : les CDR, comités de Défense de la Révolution, sur le modèle cubain, mais sans inféodation à un parti. Élus par chaque village, chaque unité territoriale, les CDR vont devenir la courroie de transmission entre le pouvoir central et la population. Et incarner la révolution sankariste au quotidien.

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La Haute-Volta n'est plus, vive le Burkina Faso !

Thomas Sankara envoie aussitôt les premiers signes du changement : il vend toutes les Mercedes réservées aux ministres, qu'il remplace par des R5, lance des chantiers populaires aux quatre coins du pays pour construire les premiers logements sociaux et impose à la population la pratique du sport une demi-journée par semaine. Le 4 août 1984, la République de Haute-Volta devient le Burkina Faso. Ce nouveau nom découle d'un désir d'indépendance et de souveraineté.

Damata Ganou, coordinatrice des comités de Défense de la Révolution, sous le Conseil National de la Révolution, dirigé par Thomas Sankara en 1983
Damata Ganou, coordinatrice des comités de Défense de la Révolution, sous le Conseil National de la Révolution, dirigé par Thomas Sankara en 1983
© Radio France - Somany Na

Très vite, un discours féministe est relayé par le nouveau pouvoir. Thomas Sankara lui-même n'a de cesse de dénoncer le poids des traditions, la gérontocratie et la domination mossie sur le reste de la population. Il s’attaque à la polygamie, à l’excision, aux mariages arrangés. Il impose des jours de marché interdits aux femmes pour obliger les hommes, une fois par semaine, à faire les courses eux-mêmes. Il coupe le salaire des fonctionnaires en deux, la deuxième moitié étant dorénavant versée à leurs épouses, pour leur donner les moyens de leur émancipation. Des orchestres de femmes sillonnent le pays pour mobiliser le moindre village et lancent des slogans, repris à l’unisson : "À bas les maris violents ! à bas les mâles dominants !"

"Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance"

Chaque militaire, quel que soit son rang, doit désormais suivre une formation politique. La réussite est totale en cette première année de pouvoir, au point que les voisins africains, à l’exception du Ghana, craignent que la révolution sankariste ne fasse tache d'huile. Le Burkina Faso devient le premier pays au monde à créer un ministère de l’Eau, qui va sortir le pays de la disette, et dès 1984, lui permettre d’exporter pour la première fois de son histoire des céréales vers ses voisins, des fraises et des haricots verts vers Rungis.

Devant l’assemblée générale de l’ONU le 4 octobre 1984, Thomas Sankara se fait le porte-parole des déshérités du monde. Après s'être rendu dans le quartier de Harlem à New York, le jeune président prononce ce premier discours qui va subjuguer l'Afrique, grâce notamment à cette apostrophe restée dans les mémoires : "Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir".

Vers la fin de l'âge d'or

À la fin de l'année 1985, deux ans après son lancement, la révolution sankariste se heurte à des difficultés politiques majeures. On ne touche pas en effet aux terres, à la vie des couples et des familles, aux croyances et aux traditions sans qu’à un moment le corps social ne réagisse. Dans l’ombre, les appétits s’aiguisent et le fantôme des coups d’État-éclairs revient hanter le Burkina.

L’arrivée de Chantal Terrasson de Fougères dans la vie de Blaise Compaoré, une jeune femme ambitieuse, va dévier le cours de la révolution burkinabé en lézardant l’amitié qui liait Blaise et Thomas, principal socle de stabilité du pouvoir politique. Le goût du luxe et les appétits de pouvoir du couple Compaoré vont tourner au drame shakespearien. Quelque chose d’une haine intime se superpose désormais aux contradictions propres aux enjeux géopolitiques et aux transformations sociétales radicales de la société burkinabé. En cette fin 1985, l’atmosphère devient lourde à Ouagadougou.

Une Grande Traversée co-produite par Christophe Nick et Somany Na, réalisée par Somany Na.
Troisième épisode avec :

  • Bruno Jaffré, historien et auteur de Thomas Sankara, la patrie ou la mort (Syllepse)
  • Thierry Secretan, photographe et journaliste
  • Fidèle Toé, ami d'enfance et ancien ministre de la Fonction publique sous le CNR
  • Damata Ganou, coordinatrice des comités de Défense de la Révolution, sous le Conseil National de la Révolution, mené par Thomas Sankara
  • Michel Kouda, ministre de l'Eau sous le Conseil National de la Résistance (CNR)
  • Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d'Ivoire
  • Jean Hubert Bazié, directeur de l'information puis directeur de la publication du journal satirique L'Intrus
  • Armelle Faure, ethnologue et anthropologue, autrice de Révolution et sorcellerie, une ethnologue au Burkina Faso, (Elytis, 2020)
  • Guy Delbrel, ancien conseiller de Thomas Sankara
  • Moussa Diallo, aide de camp de Thomas Sankara puis chef des services de renseignements de l'armée burkinabé
  • Augusta Conchiglia, journaliste

Bibliographie indicative :

Prise de son à Paris, Mai Tran Phuong et Yann Fressy, prise de son à Ouagadougou Eric Audra ; mixage : Pierre Henri. Merci à Antoine Vuilloz de la discothèque de Radio France et à Véronique Le Falher de la bibliothèque de Radio France ainsi qu'à Parfait Bako à Ouagadougou. Les archives concernant les réformes féministes de la révolution sont tirées d’une longue interview que Thomas Sankara a donné à René Vautier, celles-ci ont été mise en ligne par la revue Afrique XXI avec l'accord de madame Moira Vautier, fille du cinéaste René Vautier. Coordination : Christine Bernard.

En partenariat avec la plateforme BrutX

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